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Comme l’exprime avec bon sens Philippe Bouchet, le chef de cette mission de recensement de la biodiversité, les nouvelles dont on nous accable quotidiennement sont si déprimantes que nous finissons par chérir la moindre nouvelle positive. Et la découverte d’une nouvelle espèce ou la redécouverte d’une espèce oubliée devient un petit trésor que les médias aiment partager. Si en plus la découverte est située dans une de ces destinations exotiques qui nous font rêver comme la Papouasie-Nouvelle Guinée, Madagascar, le Mozambique, la forêt Guyanaise, São Tome ou le Vanuatu … D’où cet engouement de tous pour revisiter la planète et inventorier ces filons de biodiversité.

Qui n’éprouve pas le fantasme de devenir un jour un jeune scientifique, envoyé à l’autre bout du monde pour aller crapahuter dans une vallée oubliée, être le premier à plonger de nuit sur un récif reculé pour découvrir un nouveau spécimen de pin colonnaire, de crevette-pistolet ou de crabe orang-outan ?

Bien entendu, près de 150 ans après Darwin, il n’existe plus de nouveau monde à découvrir. La quasi-totalité des mammifères et des espèces de grande taille ont été décrits, conservés dans un bocal de formol ou un herbier. Mais ce n’est certainement pas encore le cas de tous les mollusques (coquillages, nudibranches …) et crustacés aquatiques (crabes, crevettes …), objet de l’expédition Koumac 2018, Province Nord de la Calédonie. Par ailleurs, les techniques d’échantillonnage ont tellement évolué en un siècle. Il n’est malheureusement plus questions de réaliser ces si belles aquarelles de kangourous ou de cacatoès aux couleurs si délicates. Terminés les collections d’espèces empaillées, les volumineux herbiers à l’écriture manuscrite soignée … Les artistes ont disparus. Aujourd’hui tous les spécimens sont photographiés ou mieux méga-pixélisés sur fond noir, leur ADN inventorié jusqu’à la dernière molécule. Leur destin est de finir noyés dans l’alcool, au fond d’un petit bocal plastique et affublé d’un code barre dans les armoires du Museum d’Histoire Naturelle de Paris. Si la poésie semble maintenant se limiter à la couleur jaune des couvercles des bocaux et l’usage persistant du latin pour nommer les espèces, la passion de la science et de la découverte est heureusement intacte.

Cela fait plus de dix ans que mon ami Zé Pescador participe à ces expéditions de la planète revisitée. Je suis, je l’avoue volontiers, jaloux de cette chance qui le poursuit et l’amène aux confins du globe pour plonger dans des mers encore peu explorées. Il a bien eu une part de chance, dans la mesure où ces expéditions auraient pu ne jamais s’arrêter au Mozambique. Mais il a surtout un flair exceptionnel pour dénicher les coquillages. Cette passion de la conchyliologie l’a amené à apprendre tous les noms latins de cette famille, mais aussi à connaître les habitats de la plupart d’entre eux. Car Zé plonge lui-même pour se procurer les spécimens qui auront l’honneur de sa collection. C’est en trouvant, lors de l’expédition au Mozambique autour de la petite île d’Inhaca, en un week-end plus de vingt-trois espèces de térèbres (gastéropode de la famille des Terebridae …) qu’il a convaincu Philipe Boucher de l’emmener dans ses expéditions comme « amateur de haut niveau ».

Et voilà, que la planète revisitée s’arrête en Nouvelle-Calédonie, avec parmi les membres éminents de l’expédition Zé Pescador, son épouse Nocaz et leur ami Sandro. Non seulement je vais pouvoir les revoir. Mais je pourrais aussi bénéficier grâce à Zé d’une invitation inespérée à partager le quotidien de la mission le temps d’un week-end. Cap sur Koumac, en route pour la grande aventure scientifique !

Quelle joie de retrouver mes amis au QG de l’expédition au cpeur du port de pêche ! Je suis littéralement mis dans le bain, dans la mesure où mon nom figure sur le programme des plongées du lendemain. Me voilà inclus dans l’équipe de Zé, adoubé plongeur collecteur à la station KX602 (Koumac eXpédition numéro 602) situé au beau milieu de la passe Deverd, à proximité de la balise de danger isolé. Chaque soir en effet, le chef de mission et son adjoint consultent les cartes marines affichées au mur, recueillent le savoir des uns et des autres, font appel à leur vénérable expérience et, peut être, caressent leur patte de lapin. Puis ils attribuent aux différents groupes, selon leur spécialité (plongeur expert en nudibranches, volutes ou chitons, magicien de la nasse ou de l’épuisette, technicien du filet « lumun lumun », roi de la pêche à pied …), une station de collecte.

Après une courte nuit dans les dortoirs mis à disposition par la mairie, le réveil sonne pour les premiers à 5h30. Le sommeil a été rythmé des ronflements sonores de scientifiques fatigués aussi la mise en route est difficile. Mais aucun grognement, aucune marque de mécontentement ne sont exprimés. Le moteur de la passion démarre : coûte que coûte, chacun mettra un point d’honneur à rejoindre sa station. Pas toujours facile quand les alizées soufflent à plus de 25 nœuds et qu’il faut affronter une mer formée, de face, pendant plus d’une heure. Heureusement, nous a été attribué le Stabicraft flambant neuf de la Province Nord. C’est une coque aluminium, bien protégée par une cabine avant fermée. Nous restons bien au sec derrière le pare brise qui prend embrun après embrun. Notre pilote Jurgen est obligé de faire fonctionner l’essuie-glace à pleine vitesse.

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Stabicraft flambant neuf de la Province Nord avec capitaine Jurgen et Zé

Nocaz me tend un filet et quelques boites pour ramasser les échantillons. Zé est déjà tout équipé de sa banane taille XXL de design et confection maison, d’une balayette pour recueillir les coquillages sur les rochers, de sa passoire en plastique favorite et de mitaine qui lui permettront de sonder le sable en limitant le risque de se blesser sur un oursin …. Et nous voilà à l’eau pour une heure de prospection. Au retour, ma pêche est misérable, je dois bien le reconnaître. Le temps d’ouvrir une boîte pour collecter une crevette, j’ai déjà perdu la moitié du contenu de mon filet. Ou alors j’ouvre mon filet pour y glisser une huître géante, et toutes mes boites s’échappent et flottent dans le courant … Heureusement, toute notre pêche est mise en commun. L’habileté de Zé, Nocaz et Sandro rattrape mes maladresses, qui resteront inaperçues.

Les retours de collecte sont les grands moments d’animation dans les journées de l’expédition. Les collecteurs placent fièrement dans des bacs blancs les fruits de leur travail. Les scientifiques relèvent enfin la tête de leur bureau pour se précipiter voir si un petit trésor ne se cache pas parmi les spécimens ramassés. Cris de joie, encouragement, voir même applaudissement pour le ramassage d’une Voluta Deshaysei signalée dans la zone, mais difficile à trouver. Les scientifiques font leur marché. Puis ils se mettent sans attendre à photographier et préparer les échantillons pour recensement et conservation au Museum. Les possibles espèces nouvelles sont immédiatement repérées et signalées au chef de mission, qui félicitera publiquement les équipes et sans doute, plus discrètement, sa patte de lapin qui l’aura amené à sélectionner le lieu de prospection.

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La collecte : j’ai trouvé le plus gros, Zé tous les autres …

La phase de collecte terminée, les collecteurs ont un peu de temps libre. J’en profite pour me glisser dans le laboratoire où chaque spécialiste à son petit bureau. Ils disposent d’une loupe binoculaire, d’un ordinateur bien entendu, d’une lampe de bureau puissante pour faciliter les examens et la photographie des spécimens. Les échantillons en cours d’examen ou d’archivage nagent dans des bocaux de toutes les tailles. Comme j’arrive à la fin de l’expédition, certains bureaux sont envahis de véritables châteaux de boîtes empilées, chacune abritant suivant la spécialité des crabes, des crevettes, des limaces …

A titre d’exemple, comment imaginer une telle diversité biologique dans les tailles et les formes les nudibranches ? Je savais bien qu’il y en avait de toutes les couleurs, mais la plupart sont de la taille et la forme d’un limaçon. Mais là j’en vois certaines aussi fine qu’une rognure d’ongle, d’autres grosses comme des assiettes. Zé en a découvert une ronde comme une soucoupe, qui pourrait bien être une espèce nouvelle, selon Angel Valdes. Si c’est le spécialiste mondial des nudibranches, venu tout droit de son laboratoire spécialisé en Californie le « Sea Slug Lab ») qui l’affirme, il est possible d’y croire.

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Formes de nudibranches : grosse comme une assiette, ronde et jamais décrite, de la taille d’une rognure d’ongle

Zdenek Duris, expert tchèque ès crustacé, ouvre devant moi une gigantesque huitre que notre équipe vient de ramasser. Je suis fasciné par la taille et la couleur orange de la chair. Voilà qui change du gris perlé de nos belons triple zéro.

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Belon des tropiques : 15cm, orange vif

Mais à ma grande surprise, avant même que j’ai eu le temps de me demander quel goût elle pourrait bien avoir au palais, il attrape avec une pince deux crevettes cachées. Leur couleur orangée leur assure un mimétisme presque parfait. Et ce n’est que le début : l’huître cache également dans son intestin un poisson parasite long comme une grosse aiguille ! Décidément, l’infiniment petit recèle encore bien des mystères et suscite bien des vocations.

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Monsieur, et Madame dans ses appartements (ou l’inverse)

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Tout droit sorti de l’intestin …

Zé et Nocaz signalent l’arrivée d’un palangrier sur le quai des pêcheurs voisin. Poussés par la curiosité, nous décidons d’aller voir le débarquement de la pêche. A l’aide d’une grue, thons (yellow fin, obèse, germon), saumons des dieux, marlins, mahi-mahis sortent par grappe pour être pesés et chargés dans un camion frigorifique. Les marins très sympathiques se laissent prendre en photos.

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Thon obèse, en route pour Tokyo

Ils finissent même par lancer dans l’eau quelques sardines congelées qui normalement servent d’appâts. Et là stupeur, deux loches carite de plus de deux cents kilos remontent des eaux troubles du port en surface pour gober ces friandises. Nous allons chercher nos camarades scientifiques pour partager notre récréation l’espace d’un instant. Quelle surprise de réussir à étonner ces spécialistes des petits animaux avec ces monstres marins.

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Loche carite en NC ou Brindle Bass en RSA, jusqu’à 250 kilos à la pesée

Le repas commun au réfectoire attenant au laboratoire clôture le cycle de la journée. Avant de terminer le dessert, le chef de mission Philippe Boucher profite de ce moment de détente où tout le monde est réuni pour partager les actualités. Il présente les derniers arrivés, dit au-revoir aux partants, félicite les uns et les autres pour les dernières découvertes, donne la parole à ceux qui ont accompli un travail qui mérite l’attention de tous, détaille le planning du lendemain.

Voilà venu le temps d’aller enfin se reposer ? Que nenni ! Les scientifiques retournent aussitôt à leur loupe binoculaire et leur répertoire. Pour les plongeurs, c’est le moment de profiter de ce moment privilégié où les mollusques profitent de l’obscurité pour sortir de leur cachette. Plongée de nuit : « Enfilez vos combis et venez nous rejoindre ! »

Pour les plus curieux :