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Ivoire, pièces d’or et Martaban … (Trésors engloutis)

Totalement absorbés par leur chantier, nos camarades n’avaient que peu de temps à nous consacrer. Aussi Lluis, Esteban et moi restions un peu désœuvrés, livrés à nous même. Nous occupâmes facilement les premiers jours. D’abord à visiter la citadelle, en commençant par la magnifique porte d’entrée couronnée d’un blason sculpté dans la pierre. Nous fîmes le tour des canons imaginant sans peine une attaque de vaisseau hollandais. Nous descendîmes nous rafraichir dans la poudrière puis nous baigner dans la citerne qui récupérait une eau de pluie transparente. Et que dire de la petite chapelle de Baluarte. Construite en 1522 avant même la citadelle, elle trônait depuis près cinq siècles telle la figure de proue d’un vaisseau de pierre, à la pointe nord de l’île, surplombant la mer. 

Après ce fut le tour de randonner sur le continent. Le matin, nous abandonnions nos camarades à leurs travaux pour embarquer sur un des boutres depuis la plage voisine, afin de rejoindre un des multiples villages du continent. C’était l’occasion d’une paisible navigation dans la rade, de sympathiques rencontres avec les Macuas. Puis nous  prenions de petits sentiers qui débutaient souvent les pieds dans la boue au travers de la mangrove, se poursuivaient à l’ombre des cocotiers pour déboucher sur des plages sans fin bordées d’une mer turquoise. Une langouste ou un poisson perroquet multicolore à la braise en guise de déjeuner, une courte sieste et c’était déjà le moment de rebrousser chemin vers l’Ilha.   

Ensuite, nous prîmes le temps de décortiquer les salles du musée du palais du Gouverneur. Le bâtiment lui-même, dont les premières pierres furent posées par la Compagnie de Jésus peut être comme un jalon sur la route du Japon, méritait la visite. L’ajout de sculptures peintes en vert bouteille lui donnait une petite touche parisienne. Il rappelait l’admiration des portugais pour notre capitale au début du XXeme siècle. Mais ce qui nous fascinait surtout, c’était les collections du musée, en particulier celles extraites de fouille sous-marine. Elles nous rappelaient avec insistance les petites découvertes quotidiennes de nos amis.

***

« Vous devriez prendre quelques bouteilles et prospectez les abords de l’île. Des épaves, il y en a partout dans le coin. Des siècles de navigation à la voile, sans moteur, avec les courants et les récifs tout autour, cela en fait des occasions de sombrer. »

Comme à son habitude, Zé nous encourageait, nous aidait à construire et mener à bien nos projets d’aventures. Après tout, il avait raison : grâce au chantier et à la générosité de nos amis, nous avions à disposition compresseur, bouteilles et équipement de plongée. Par ailleurs, le raisonnement de Zé semblait des plus logiques : en quel autre endroit pourrions disposer d’un gisement d’épave potentiel aussi important ? A vrai dire, il ne nous manquait qu’une embarcation pour aller naviguer au gré de nos envies ! Qu’à cela ne tienne, Zé avait encore la réponse :

« Essayez donc d’affréter un de ces boutres de la plage. Je connais d’ailleurs un vieux capitaine à qui je pourrais vous présenter. Il s’appelle Inusso. Il est vieux c’est vrai. Un peu sourd et avec un début de cataracte, mais il connait tous les recoins. Du temps où il chassait, il a repéré plusieurs ancres et quelques canons : vous n’aurez qu’à lui demander. » 

Et voilà, c’était aussi simple que cela. Autant dire qu’avec un tel programme pour les jours à venir, nous n’arrivions plus à dormir. Et bien qu’en vacances, nous nous levâmes le lendemain encore plus tôt que nos camarades.

***

Inusso avait certes beaucoup de cheveux blancs et sa barbe était bien grisonnante. Son regard était légèrement voilé, mais sa posture indéniablement celle d’un marin. Il était assis les jambes croisées sur la plage arrière, le dos appuyé sur un sac de sable qui faisait à la fois office de coussin et de contre poids pour corriger l’assiette du navire. Son boutre répondait au nom de Mektoub. Comme son propriétaire, il n’était plus de la première jeunesse. La grande voile triangulaire en particulier avait sûrement connu des jours meilleurs. Elle était parsemée de plusieurs pièces de tissus qui tentaient, à défaut de réparer les outrages du temps, de prolonger de quelques années encore la durée de vie de ce voilier en bois qui prenait eau de toute part.

Inusso avait comme marin Abdul. Tout aussi âgé que le propriétaire, Abdul avait la silhouette légèrement affaissée d’un ancien colosse. S’il n’était plus très souple, il disposait encore d’une force impressionnante qu’il complétait par une grande expérience de toutes les manœuvres à accomplir.

A l’annonce de notre programme, les deux compères avaient tendu l’oreille et me semblait t’il ébauché un sourire, aussitôt réprimé. Comme toujours, il fallait d’abord palabrer longuement pour s’accorder sur un prix, même si la recommandation de Zé, qui du ponton nous saluait, nous vaudrait nous l’espérions un traitement de faveur. Enfin, mon sentiment était que nous avions trop envie de conclure de part et d’autre pour faire capoter la négociation. Aussi à peine trente minutes plus tard, nous étions à quai sous le compresseur à charger les équipements pour notre première virée.

***

Le Mektoub donnait l’impression de voler quelques pieds au dessus d’un sable rendu vert émeraude par l’eau limpide. Il se faufilait grâce à l’habilité de son capitaine entre les patates de corail cerveau. Inusso finit par jeter une ancre constituée d’un amalgame de fers à béton et de ciment en bordure d’un tombant que signalait une intense couleur bleue marine. Inusso était formel :

« Allez-y. Si vous descendez vous trouverez une ancre et des canons. »

   

Ce serait la première d’une longue série de plongées. Le choix des sites relevait à notre œil inexpérimenté du pur hasard. Et pourtant, à chaque fois, nous ne manquions pas de trouver une énorme ancre à jas ou des canons recouverts d’une croute de corail ou un lit de pierres autrefois utilisées comme ballast.

Le plus remarquable était l’immense quantité de bouteilles de toutes sortes et de toutes formes qui tapissaient les fonds. Parfois en verre soufflé pour les plus anciennes, parfois en grés pour les bouteilles de gins hollandais … elles semblaient avoir flotté comme des bulles en surface du sable sans jamais avoir été enfouie comme le reste de l’épave. Ou alors fallait-il imaginer des générations de marins multipliant les apéritifs, jetant par-dessus bord les bouteilles vidées tout en attendant la mousson pour continuer le voyage vers les Indes ?  

Une fois je trouvai comme une énorme amphore que je peinais à remonter en surface.  Je ne manquai pas de la montrer à Zé le soir même.

« C’est un Martaban. C’est une sorte de récipient qui vient d’Inde ou de Chine et qui servait à conserver la nourriture. Tu devrais demander à Ricardo, tu sais mon ami professeur d’archéologie avec qui nous sommes allés pêcher quelques fois. Lui saura t’en dire plus que moi ! »

Et voilà que nous étions songeurs à imaginer des jonques chinoises débarquant sur la côte Est de l’Afrique, quand Dinho pris la parole. Il nous raconta alors l’histoire d’une fouille à laquelle il avait participé. La cargaison avait livré quantité de Martabans, mais aussi tout un lot d’ivoire d’éléphants et d’hippopotames.  

« Encore aujourd’hui, dans la province de Cabo Delgado plus au nord, il peut y avoir des éléphants qui viennent jusque sur la plage. Vous n’en avez pas vu lors de votre croisière de Noël ? » nous demanda Nuno.

Et le lendemain nous repartions plonger avec l’espoir de tomber sur une défense d’éléphant plus grande que nous coincé entre deux rochers que nous auraient indiqué notre capitaine Inusso. 

***

Et puis un soir, nous nous retrouvâmes tous au restaurant en bord de mer, avec notre quai des douanes bien en vue.  Je m’en souviens parfaitement : c’était mon anniversaire. Nos trois amis nous attendaient avec des airs de conspirateurs. Or rien ne les trahissait vraiment, mais il y avait quelque chose dans leur attitude de singulier. Zé me tendit alors un minuscule paquet :

« Tiens, c’est pour toi. »

Je pris mon temps pour l’ouvrir tout en observant mes camarades. Mon imagination s’agitait dans tous les sens.  Une pièce. Une pièce d’or, fine comme du papier, avec le pourtour soigneusement strié entourant une abeille. Et quelques caractères à moitié effacés qui pourraient bien être des idéogrammes chinois ou asiatiques. C’est alors que Nuno chuchota :

« Ne dis rien, il faut garder le secret, mais on a trouvé une épave. »

Ma pauvre imagination avait fini de s’agiter, elle était maintenant tout en flamme. Un trésor ! Un galion ! Un vaisseau de l’empire des Mings rempli de coffres, de porcelaines, d’Ivoires … Il faut dire pour ma défense que ces dernières semaines avaient bien préparé un terrain déjà fertile à toutes sortes de divagations. 

Nous apprîmes peu de choses de nos camarades qui il est vrai n’en savaient guère plus. Nuno nous expliqua simplement la découverte. Par curiosité il était allé faire un tour du côté des anciennes piles de ponts. Ces dernières, si vous vous souvenez, avaient été déplacées à l’aide d’un radeau pour être immergées de nouveau sur un fond de sable à distance raisonnable du quai. Or les pourtours de l’île sont soumis à de très forts courants de marées. En quelques jours, les abords de chaque pile avaient été en quelque sorte balayés, laissant apparaître une curieuse structure. Nuno était formel : c’était une épave.

***

Le lendemain, c’était dimanche, jour de repos sur le chantier. Mais aujourd’hui, pas question de chômer. Nos amis allaient faire des heures supplémentaires, et nous allions bien entendu leur prêter main forte,  Lluis, Esteban et moi.

Le générateur sur remorque tournait à plein régime. Depuis le ponton, un étrange serpent de plastic de près de cent mètres de long ondulait vers la position des anciennes piles. A cet endroit un bouillonnement trahissait en surface l’activité intense qui se déroulait à quelques mètres de fond. N’y tenant plus, je m’équipai d’une bouteille pour rejoindre mes camarades. Chaussé de mes palmes, les jambes écartées et la main plaquée sur le masque, je sautai du ponton. J’avais à peine retiré ma main qu’un minuscule poisson jaune rayé de noir venait se coller à la vitre de mon masque. Un juvénile de carangue speciosus. Je ne saurai dire s’il me montrait le chemin ou s’il se contentait de me précéder mais je le prenai comme un heureux messager.

Après quelques minutes de nage, je retrouvai mes amis qui restaient concentrés sur leur travail. Ils avaient déjà dégagé quelques objets de forme diverse : boîtes de fer blanc qui faisaient penser à un lot de conserve, lanterne comme celle que l’on mettait à lavant des calèches. Zé avait mis la main sur un amalgame de pièces qu’il me tendit me faisant signe de le ramener à terre.   

Je ne perdai pas de temps à tremper l’objet dans un petit bac rempli de vinaigre blanc. Nous étions fébriles avec Lluis et Esteban. Aussi pour tenter de calmer nos nerfs nous partîmes prendre un café tout en poursuivant nos spéculations et en tentant avec difficulté de faire défiler les minutes. Sans grand succès, aussi nous finîmes par reprendre le chemin du quai pour examiner le travail du vinaigre sur le bloc de pièce.

« Tiens regarde là, on dirait une date !» s’exclama Esteban tout en grattant de l’ongle une pièce qui s’était détachée. « Dix huit cent trente deux … ».

Le phantasme d’un galion portugais ou d’une jonque chinoise s’évanouit à notre grand désespoir en l’espace d’un instant. Pour autant, ces journées à côtoyer les reliques d’un passé si glorieux et si plein d’aventures avaient marqués nos esprits. Ce devait vraiment être quelques choses d’être marin à bord de ces navires du temps de la conquête des océans.