Zé, collectionneur de coquillages ou d’aventures ?
Le virus de la collection, une mystérieuse maladie que l’on aimerait attraper
Oman, novembre 2024, me voilà une fois encore grâce à Zé inclus dans une expédition de malacologistes émérites. Il y a là, au côté de Zé et Nocaz son épouse, Franck Boyer, spécialiste de la famille des Marginellidae et mon ami Kamane que je connais depuis mes années mozambicaines, professeur de biologie marine et possesseur de la plus grande collection de Cônes d’Afrique (famille des Conidae). Aucun d’entre eux n’est là à titre professionnel, ils sont tous victimes de collectionnite aiguë, un virus qui occupe quasiment toute leur existence du matin au soir et semble les poursuivre jusque dans leur rêve nocturne.
Je suis admiratif et envieux. Comme j’aimerais moi-même être contaminé ! Je ne cesse de me rapprocher d’eux en espérant attraper cette maladie qui, selon toute évidence, permet de combler une vie jusqu’à son terme. Zé évoque parfois cet ami de 85 ans qui n’a pour ambition que de compléter sa collection et qui pour se faire n’hésite pas à voyager à l’autre bout du monde malgré son âge. Et que dire de Franck ? A 75 ans, retraité depuis plus de dix ans, il se lève comme toute l’équipe à cinq heure du matin, pour ne pas rater la marée qui n’attend personne.
Leur motivation à tous : explorer une nouvelle plage Omanaise repérée depuis des mois sur Google earth, dans l’espoir de collecter quelques spécimens de Marginella ? Si j’ajoute qu’ils ne sont couchés qu’après minuit pour finir de photographier, décrire ou dessiner, les yeux rivés sur leur loupe binoculaire, un spécimen ramassé la veille et précieusement conservé vivant dans un peu d’eau de er. Je trouve cela tout bonnement incompréhensible.
Malacologiste ou malacologue, c’est ainsi que l’on désigne les fadas de mollusques. Zé en tant que spécialiste des coquillages du Mozambique serait plutôt un conchyologue, vu qu’il s’intéresse avant tout au gastéropode qui sont comme chacun sait des mollusques à coquille. Comme beaucoup j’aime bien les poulpes qui sont des mollusques, mais plutôt en salade ou en daube. Parmi (l’embranchement) des mollusques, on distingue la classe des gastéropodes dont je comprends qu’ils se différencient par leur coquille torsadée, ce si précieux coquillage qui leur fait perdre la raison.
Il faut admettre que la diversité des formes et des couleurs des coquillages est tout simplement bluffante. La collection de Zé est fascinante. J’ai eu plusieurs fois le privilège d’une présentation de ses trésors. Avec un enthousiasme toujours renouvelé, il se fait une joie la dévoiler. Il a toujours le temps de vous introduire dans la pièce sanctuaire dédiée à sa collection. Il commence alors à ouvrir un à un les centaines de tiroirs des meubles spécialement conçus pour l’abriter. La première réaction est toujours l’émerveillement devant la diversité de ces chefs-d’œuvre élaborés par la nature. Mais je dois bien avouer qu’après une cinquantaine de tiroirs, mon attention baisse, mon intérêt s’émousse. Pourtant Zé continue sans mollir d’ouvrir cérémonieusement tiroir après tiroir. Et c’est vous qui vous fatiguerez le premier alors que lui présente pour la millième fois sa collection ...
Il vient de commencer à rédiger l’œuvre de sa vie. Vous l’aurez deviné : un livre sur les coquillages mozambicains. Ce sera l’aboutissement d’une vie de collectionneur. Celle-ci a d’abord pour origine l’amour de la mer, sentiment que je puis comprendre sans peine. Nous sommes très nombreux à le partager. Il est à la racine de notre amitié.
Zé a débuté comme pêcheur au Club Naval, c’est la raison pour laquelle tout le monde le connaît sous le nom de Zé Pescador. Adolescent pendant la guerre civile qui s’est terminée en 1992, il fallait bien se nourrir. Pêcher lui permettait aussi par le troc d’améliorer singulièrement l’ordinaire. Il est rapidement passé de la pêche au lancer depuis la marginale à la chasse sous-marin. Sur une minuscule plate en aluminium dotée d’un moteur de 20 CV, en compagnie de son grand ami le futur professeur d’archéologie sous-marine Ricardo Texeira Duarte, ils étaient redoutables.
Infatigable, il a alors commencé à sillonner la baie de Maputo de long en large avec une ou plusieurs cannes de traînes. A la moindre prise, son œil toujours attentif, rivé sur le sondeur, est à l’affût d’une anomalie. Car toute irrégularité est la promesse d’un tombant inexploré, une oasis de rocher au milieu du sable, une épave inconnue … Zé est l’homme qui connaît le mieux la baie. Mais jusque-là, rien d’incompréhensible. La curiosité, la mer, le monde sous-marin, attraper soi-même son poisson pour le manger, voir même ramasser quelques coquillages étranges et colorés sur une plage en guise de souvenir, qui ne partagerait pas ces envies ?
Mais pour devenir collectionneur passionné, il faut un mentor. La chance a voulu que César Fernandes soit le père d’un de ses amis de lycée. César est un des premiers malacologiste émérite mozambicain. Il est connu pour avoir découvert nombres espèces nouvelles au Mozambique (Bursa Fernandesi Ancillista Fernadesi …). Sa curiosité piquée au vif, Zé a commencé à le suivre et à fréquenter la vénérable station de biologie marine de l’Université Euardo Mondlane, logée comme dans un écrin au milieu de cocotiers sur une plage déserte de l’île d’Inhaca. Le mal avait pris racine, l’infection s’est propagée. Il n’y a pas eu de rémission, bien au contraire.
Qui permet l’intronisation dans le club des collectionneurs de coquillage
Une fois infecté par le virus, les collectionneurs de coquillages se voient admis dans une sorte d’association aux mœurs étranges. Ils se rejoignent lors de plusieurs grandes messes annuelles à Paris ou ailleurs sur la planète, qu’ils nomment bourses aux échanges. La plupart des participants se voit doter d’un minuscule stand de la taille d’une simple table, où ils entreposent quelques spécimens, dont le rôle semble surtout d’initier la discussion. Une certaine maitrise du latin est nécessaire, en plus de l’anglais, pour pouvoir suivre les conversations. Ce sont surtout des occasions de se connaître et de s’inviter gracieusement aux quatre coins de la planète.
Et même sans invitation, appartenir à ce monde, à la fois petit et large, est l’assurance d’être accueilli en tout lieu proche de la mer nombre par des coreligionnaires passionnés. Ainsi, à ma grande surprise, lors de ses visites en Martinique ou en Nouvelle Calédonie, j’ai pu constater que Zé connaissait au bout de quelques jours, des habitants tout autour de ces îles, même sur la côte au vent, même dans les villages les plus reculés. Son réseau était plus important que le mien alors même qu’il venait d’arriver !
Grâce à lui, j’ai pu rencontrer de singuliers personnages, comme ce spécialiste des coquillages niger et rostrés de Calédonie (ce qui ne vous dit pas grand-chose, s’agissant de déformation liée au Nickel), mais aussi des dents de Mégalodon, ce requin fossile similaire à un requin blanc de 20 mètres. Il avait fait fortune en ramassant ces dents fossiles aux quatre coins du lagon calédonien. Quel métier de rêve !
La plongée, moyen de collecte privilégiée
La plongée (bouteille ou apnée) reste son moyen privilégié de collecte. J’imagine que c’est le cas pour la plupart des collectionneurs. Chaque espèce de gastéropode est associé à un habitat et une nourriture très spécifique qui se caractérisent par de multiples facteurs : température, salinité, luminosité, force du courant et que sais-je encore … Naturellement la plongée permet d’accéder visuellement et physiquement au fond sous-marin, de multiplier les découvertes d’habitats singuliers et donc de nouvelles espèces.
Chaque fois que j’ai pu le suivre en mer, j’ai bondi sur l’occasion. C’était une opportunité inespérée de satisfaire un besoin d’espace, d’eau salée, de liberté, d’embrun, de découverte d’espaces inviolés, de frissons à côtoyer l’inconnu de ce monde riche de requins, de raies ou autres loches géantes … Mais au fil des années, j’ai observé Zé privilégier sa passion des coquillages. Équipé d’une ceinture dotée d’une poche kangourou fermée par un élastique, il plonge maintenant armé d’une balayette et d’une passoire, brossant sans répit les roches jusqu’à épuiser la dernière goulée d’air de sa bouteille. Un requin marteau peut passer juste au-dessus de lui, c’est tout juste s’il daigne y jeter un œil, et peut être plus pour évaluer le danger de la situation que pour admirer la bête.
Décembre 2024 à Maputo. La saison chaude est déjà bien entamée. Zé a repéré quelques roches au sondeur, dans une zone inconnue, mais à moins 35 mètres tout de même. Nous plongeons. Et effectivement, nous tombons sur de larges roches plates, entrecoupées de sable. Leur particularité : elle serve de socle à de larges gorgones d’une couleur vieux rose bien particulière, que l’on ne voit qu’à partir d’une certaine profondeur : c’est la promesse d’une ovule différente. Zé et son épouse Nocaz sont toute de suite à pied d’œuvre. Pas une seconde à perdre. Nocaz, qui a toujours l’œil jeune, prospecte de visu. Zé lui brosse sans relâche, recueillant dans sa passoire un mélange de détritus, sable et coquillages qu’il va falloir trier.
Je me souviens aussi dans la baie très protégée de Nacala de plongées de nuit. Car nombre de coquillages sont des prédateurs nocturnes, sans doute pour échapper à leurs propres prédateurs poisson ou raie, qui auraient des habitudes plus diurnes. L’obscurité installée, les voilà sortis du sable pour sillonner les fonds et se nourrir. Cela devient alors un jeu d’enfant de les pister et les surprendre dans le faisceau de sa lampe, malgré l’obscurité.
Mais qui reste un moyen de collecte parmi bien d’autres
Il n’est pas obligatoire d’entrer dans l’eau pour débuter une collection. On peut se contenter de se promener sur les plages pour ramasser les coquillages morts déposés par la mer ou encore repérer de minuscules traces dans le sable mouillé qui trahiraient un mollusque spécialiste de l’estran. Tout le monde peut comprendre le plaisir de parcourir une plage inconnue au coucher du soleil, plaisir qui se décuple et se multiplie si l’on y ajoute celui d’une chasse au trésor : la collecte de coquillages.
Une autre technique pratiquée assidûment par Zé est de solliciter les marins de la flotte de pêche de Maputo. Il est si connu qu’il n’y a pas un jour sans que son téléphone sonne et qu’un marin lui propose au retour de sa campagne de pêche d’examiner sa collecte. Aussitôt, Zé enfourche sa moto pour foncer au port de pêche de Maputo, où tout le monde, gardiens, vendeuses de rue, dockers, membres d’équipage comme capitaines, le salue par son nom. L’anticipation est à son comble. A même le pont du chalutier, à l’ombre de l’immense pont qui traverse le fleuve Umbeluzi, Zé se demande s’il va trouver un spécimen ramené par chance des grands fonds. Le marin lui prie pour que tous ces patients efforts d’inspection minutieuse des coraux mous et autres éponges remontés des abysses, ou d’examen attentif des estomacs des poissons sortis du filet, soient récompensés. Ils le sont presque toujours car le hasard récompense ceux qui s’obstinent et Zé n’hésite jamais à se montrer généreux.
Toujours inventif et à la recherche de nouvelles techniques, je me souviens également d’avoir déposé sur des fonds de deux cents mètres au large d’Inhaca, un chapelet de petites nasses bricolées avec bouteilles en plastique. Celles-ci, lestées de cailloux et d’odorants appâts, étaient reliées entre elles, avec d’un côté à une ancre de fers à béton soudés et de l’autre une bouée de surface permettant de retrouver ces redoutables trappes à coquillage. Le piège marchait si bien que nous attrapâmes même un minuscule requin de 15 centimètres !
Enfin, et pour terminer la description de ces techniques de collectes, il faut mentionner la mini-drague. Zé en a conçu le design et fait réaliser le prototype. Tout en inox, la mâchoire, munie d’un peigne, racle les fonds et récupère le précieux sable dans un filet vert à maille fine. Après une heure de traction à l’aide de son semi rigide, Zé mousquetonne trois gros jerrycans sur le câble de traction et s’élance dans une large boucle à pleine vitesse, pour les faire reculer jusqu’à la drague. Un astucieux ergot placé à proximité de l’engin les empêche de redescendre et permet ainsi de récupérer tout le matériel remonté des profondeurs.
L’adrénaline est à son comble, tous les précieux sédiments sont versés du filet dans une grande cuvette de plastique. Ils sont examinés grain par grain avec l’aide d’une pince à épiler à la recherche de ..., de ... cette fois, c’est un morceau de dendronephthia, une espèce de corail mou pouvant ressemble à un brocoli blanc avec des bouquets rouges vifs. Soudain, Zé et Nocaz poussent des cris de joie et se congratulent. Je me laisse embarquer dans la folie collective, sans trop comprendre. Deux ovulidae de quelques millimètres seulement se baladent sur le morceau de corail. Le tout est soigneusement conservé dans un tuperware rempli d’eau. C’est la première fois semble t’il que cette espèce d’ovule est repérée dans cette zone de l’Océan indien. Photographiée vivante le soir même, elle fera le tour de la communauté des spécialistes, aura l’honneur d’un tiroir de la collection de Zé et finira sûrement en bonne place dans son futur livre.
Attention, la drague comporte quelques risques. «Il faut toujours tracter en marche arrière pour plus de sécurité» rappelle Zé à chaque trait. Le souvenir d’une expédition à l’île du Mozambique, à proximité du phare de l’île de Goa, marquant un des passages d’entrée vers le mouillage à l’abri de la forteresse, me revient à chaque fois à l’esprit. Alors que nous draguions tranquillement par 80 mètres de fond, le bateau s’immobilise soudainement. La drague est coincée au fond. Nous essayons par tous les moyens de la déloger avec le moteur. Rien n’y fait. Le courant est si fort dans le chenal, que l’avant du zodiac s’enfonce dangereusement, tiré sous l’effet du courant par la drague vers le fond. Si elle avait été amarrée à l’arrière, près des pesants moteurs, nous serions déjà à demi immergés.
Je me mets à l’eau avec l’idée de faire une boucle pour y frapper un bout et une bouée de surface, nous libérer en coupant l’amarre et ainsi récupérer la drague quand le courant faiblira. Zé m’aide avec le moteur pour obtenir un peu de mou sur le câble de la drague. J’y suis presque et soudain je prends conscience que si ma main, voir même un seul doigt, devait de prendre dans une boucle, je pourrais être entraîné sous la surface par le courant ...
Au service du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris
La persévérance finit toujours par payer. A force de se consacrer corps et âmes à sa collection, Zé a inévitablement fini par découvrir nombre de nouvelles espèces. Cela vient avec le privilège de les nommer du nom de son épouse Nocaz, de sa fille, de son nom Rosadoi ... il m’a avoué avoir depuis longtemps cessé d’en tenir un compte précis. Après plusieurs questions répétées et insistantes, il a fini par lâcher un nombre : celui d’environ de 80 ! Avec le temps, son nom a fini par être connu même au-delà de baie de Maputo et du Mozambique ...
Ainsi, tout malacologiste émérite qui passe par Maputo a entendu parler de Zé et de sa collection de coquillages mozambicains sans égale. Il y a bien une petite collection dans le musée d’histoire naturelle de Maputo, dont Zé est d’ailleurs à l’origine. Mais, elle vaut plus par le somptueux bâtiment de style manuélin qui l’abrite, que par son contenu.
En 2009, le hasard voulut que l’une des premières grandes expéditions du programme «la planète revisitée » choisisse le Mozambique comme terrain de jeux. Son chef, le Professeur Philippe Bouchet de Muséum de Paris, entra inévitablement en contact avec Zé. Il est aisé d’imaginer une ces discussions enflammées parsemées de nom de coquillages en latin, mais toujours sur un ton amical bien évidemment ... elle fut suivie d’une invitation généreuse de Zé à aller chercher des spécimens de terebridae sur l’île voisine de Inhaca. L’histoire veut que Zé promisse au minimum vingt espèces en une unique journée de collecte, ce qui semble difficilement crédible. Et que le résultat fut de 23 espèces.
Il n’en fallu pas plus pour que Zé et Nocaz soient en retour invités très officiellement comme collecteurs émérites à revisiter quelques-uns des endroits les plus isolés de la planète : Vanuatu, Papouasie, Fort dauphin à la pointe sud de Madagascar et même la Nouvelle Calédonie, où j’ai eu grâce à lui le privilège d’intégrer l’expédition avec son ami Sandro Gori ...
A mon ami Zé, l’aventurier collectionneur
Ma foi, il est certain que je ne l’ai guère aidé dans ses collectes. Pourtant, il m’a toujours accueilli avec la même gentillesse, ainsi que ses amis conchyoliologues. Grâce à lui mes aventures de mer se sont démultipliées aux quatre coins de la planète. Il est devenu un personnage central des récits que je partage avec mon club de plongée de Callelongue. Il serait sûrement très surpris par sa notoriété dans ce petit coin du parc des Calanques.
Je ne lui ai jamais caché que j’aimais écrire et partager nos petites et nos grandes expéditions, même si il ne lit guère le français. D’ailleurs, je lui ai même promis cette histoire pour illustrer de manière plus personnel son futur livre, qui sera bien entendu d’une grande rigueur scientifique, mais un peu déshumanisé comme c’est souvent le cas de ce type d’ouvrage. Il est d’ailleurs bien évident que seul les collectionneurs voient la collection. La plupart des autres, moi le premier, n’ambitionne que d’imaginer les aventures qui se cachent derrière la patiente collecte de chacune de ces pièces.
J’ai moi aussi hâte de feuilleter ce livre et de vous en ramener un exemplaire dédicacé. Il aura toutefois, j’en ai peur, un grave défaut : l’absence de quelques pages blanches à la fin, pour les espèces pourtant les plus importantes : celles que Zé n’a pas encore découvertes ...