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28 Avril 2024

Grâce à mon Père, merci Papa, j’avais avant même d’arriver à Nouméa un magnifique semi-rigide sur remorque de 6 mètres avec un moteur Yamaha 100 CV flambant « presque-neuf ». Je dois dire que j’entretiens avec mon bateau une relation amour-haine.

Je ne compte plus le nombre de fois où je l’ai voué aux Gémonies. A commencer par le jour où je l’ai reçu dans son container le lendemain de mon arrivée. Tout en gérant mon installation personnelle, à la prise en main d’un nouveau métier et à l’apprivoisement d’une quarantaine de nouveaux collègues, il m’a fallu trouver en 48 heure un emplacement où le stocker et dans la foulée trouver une bonne âme pour le tracter jusque là. Imaginez le stress! Avec beaucoup de chance, j’ai réussi à obtenir un emplacement au port à sec de Boulari. L’endroit n’est pas extraordinaire à 30 minutes de chez moi, mais il a le mérite d’être un peu plus proche des spots du Sud: la corne sud, l’ilot Mato, l’île Ouen ou la Baie de Prony ...

Heureusement, il fonctionne à merveille, même si après six mois, je n’ai toujours pas réussi à immatriculer la remorque. Car après la recherche d’une place, il m’a fallu installer un crochet à ma nouvelle voiture, obtenir le permis E, voir si les éclairages fonctionnaient, ce qui n’est toujours pas le cas. Donc impossible de passer aux mines et d’obtenir une carte grise. Enfin, j’ai quand même le droit de le promener sur sa remorque dans l’enceinte du port à sec et surtout de le mettre à l’eau.

Mais pour une journée en mer, il faut également s’assurer d’une bonne météo. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas gagné à Nouméa. Oh, c’est certain, il fait beau pratiquement tous les jours. Mais avec quatre jours sur cinq, un alizé qui se renforce au fil des heures pour dépasser les 25-30 nœuds au cours de l’après-midi. Parfait pour un tour de voilier, mais très inconfortable en zodiac sauf si on a le vent dans le dos.

Et pour terminer, il faut arriver à convaincre quelques camarades de tenter l’aventure. Sur le papier, tout le monde est toujours très enthousiaste. Mais le jour venu, les candidats disparaissent. Entre les obligations: familles, astreintes … et les nombreuses autres tentations: plongée en club, kite, randonnées, sortie plage sur les ilôts tout proches… les candidats prêts à prendre quelques risques fondent comme neige au soleil.

Mais cette fois, c’est mon jour de chance: mon ami Marc se décide à la dernière minute, banco ! Il adore la mer. Il m’invite souvent les jours de grand vent sur son voilier, c’est un marin qui connait le vent et le soleil et ne va pas bouder si les conditions forcissent un peu. Il n’a pas peur de partir à l’aube, ni de rester en mer jusqu’au coucher du soleil. Et il ne craint pas de plonger hors club. Chance.

Marc propose d’explorer la baie de Prony que je ne connais pas. La baie est réputée parmi les voileux comme un des meilleurs abris. Elle est immense, sauvage et les mouillages sont légions. Le village de Prony abrite quelques cabanes de weekend. Pendant l’hiver austral, les baleines à bosses apprécient ce havre et viennent y mettre bas.

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Mer d’huile et pins colonnaires

Pour la première fois, j’embarque deux cylindres sur mon bateau. Des dix litres trois cents bars, ce qui nous autorise deux plongées de 40 minutes pour ceux qui arrivent à gérer leur air avec modération dans un minimum de volume. Marc propose de plonger sur l’aiguille de Prony. J’acquiesce  avec enthousiasme. Le site est réputé unique au monde, du moins à si peu de profondeur. C’est une source hydrothermale qui en précipitant avec l’eau de mer a produit une stalagmite géante allant de moins 37 mètres à un peu plus d’un mètre sous la surface.

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Attention, danger isolé

L’endroit est d’apparence facile  d’accès, une balise marque le site. Il est autorisé de s’y amarrer et comme  la baie est des plus tranquilles, cela ressemble au rêve de tout plongeur. Mais les deux disques noirs indiquent bien un danger, nous aurions dû mieux y prêter attention. A peine la tête sous l’eau, Marc entraperçoit un requin foncer droit sur lui. On s’interroge : quelle espèce de requin ? Inoffensive ou dangereuse ? Faut-il poursuivre ou abandonner ?  Les requins n’attaquent jamais les plongeurs, il faut en être convaincu.

Alors nous nous convainquons du mieux possible en plongeant rejoindre les abysses. Il faut d’abord traverser une première couche d’un mètre d’eau douce, qui refuse de se mélanger avec l’eau de mer. Cela crée une ambiance de lumière diffuse toute particulière, plutôt sombre. Nous allons logiquement droit au fond, tout en longeant l’aiguille. Et là, posé sur le sol, j’observe.   

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Ombres et lumière

L’aiguille se dessine en contre jour. Tout comme notre ami le requin qui de temps à autre se laisse fugacement entrevoir. Ambiance, doum-doum, doum-doum. Je parie pour un requin bouledogue, pas des plus rassurants.

Il me semble distinguer un autre massif, qui se dessine à peine dans le bleu. Comme Marc m’avait indiqué que l’aiguille est relativement petite pour une plongée, et que je suis toujours curieux, je lui fais signe de partir explorer. Oui, c’est bien un énorme bloc qui se dresse sur le fonds mélange de sable et de boue. Nous poursuivons. Des barracudas viennent nous observer. Nous cessons de regarder derrière et au dessus de nous. Arrivé à la paroi, je me mets dos au mur et je scrute l’eau turbide.

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Dessin de l’IRD, très ressemblant …

Le voilà, il s’approche escorté de trois grosses carangues speciosus adultes et trainant comme une escorte d’une demi-douzaine de remoras. Oui, c’est sûrement un bouledogue. Je retiens ma respiration et le regarde s’approcher. Il arrive et l’espace d’un instant, nos regards se croisent. Et pan, d’un coup de queue le voilà reparti se cacher dans l’eau trouble.  

Pas trop rassuré avec Marc, nous poursuivons notre exploration avec toujours un œil derrière la tête. Il est difficile de se concentrer sur les coraux et les nudibranches qui semble-t-il abondent à cet endroit. A vrai dire, je n’ai pas réussi à en voir une seule de toute la plongée, distrait par notre ami qui par épisode se rappelle à notre bon souvenir. Comme si nous allions l’oublier!

A force de chercher à le garder en ligne de mire, nous finissons par faire plusieurs tours sur nous même et nous perdre. Marc pense que le bateau est d’un côté, je suis convaincu de l’autre… Nous décidons de remonter dans le bleu, sans trop faire biper nos ordinateurs, mais sans trop traîner non plus... Ouf, le bateau n’est pas loin et il n’y a aucun courant. J’ai vite fait de quitter mon gilet et d’un coup de palme énergique remonter dans le bateau. Saufs !

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Il n’est que dix heures du matin. Nous décidons de poursuivre plus calmement par une exploration du fond de la baie où se jettent plusieurs rivières. D’abord la baie du carénage où deux voiliers à l’ancre se reposent dans un somptueux écrin de verdure. Puis en poursuivant avec peu de fonds vers la rivière des Kaoris. Personne. Et pourtant, il y a un joli ponton qui mène à un bassin d’eau alimenté par une source d’eau thermale: le bain des japonais. Et pour finir tout à l’extrémité de la baie, une magnifique petite cascade d’eau douce qui permet tout à la fois de se délasser et se dessaler. La végétation est je comprends presque intégralement endémique. Là encore, tout est à la fois familier (des buissons, des pins, des arbustes), mais subtilement différent. Je regrette de ne pas être botaniste.

Nous prenons le chemin du retour et décidons de faire un stop sur l’ilot Casy. Il y a là une petite plage déserte avec une bel ombre où je suis certain qu’il ferait bon camper. Après un rapide sandwich, une petite sieste réparatrice, nous cherchons et trouvons un chemin balisé qui nous mène au sommet de l’ilot, où nous attend une vue panoramique sur toute la baie. A part l’usine de nickel de Vale en rade nord à laquelle il vaut mieux tourner le dos, aucun bâtiment n’est visible. Une pluie soudaine change l’ambiance, mais rapidement le soleil revient.

L’heure tourne, nous réembarquons pour embouquer le canal de Woodin. Entre les falaises de la grande terre et l’ile Ouen, les rivages sont presque déserts et très arborés. Le courant est au maximum, la surface de l’eau dessine des courbes et des embryons de maelstrom  impressionnants. J’hésite à plonger seul, il me reste une demi-bouteille, Marc ayant séché la sienne à la première plongée. Puis finalement, je me lance au pied du phare de Woodin.

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Le phare de Woodin

Marc me dépose dans la baie, à l’abri du courant. Après l’expérience du matin et compte tenu de la réputation du canal pour le « gros », je ne fais guère le fier et me colle au récif. J’ai bien indiqué à Marc mon intention de passer la pointe et me laisser emporter par le courant. L’eau est trouble, la visibilité ne dépasse pas les 15 mètres. A peine immergé, un banc de grosses carangues me tourne autour, elles me suivront toute la plongée. Je suis partagé entre l’idée de rejoindre le milieu du canal pour voir le « gros » et celle de rester près du récif pour protéger mes arrières. Alors j’oscille entre les deux au gré de mon courage. La plongée est trop vite terminée. Je remonte avec un goût de trop peu, à refaire au plus vite avec au moins un camarade pour gonfler mon courage.

Enfin, je ressors satisfait d’avoir sorti mon bateau et réalisé mon programme de plongée. De retour avec le soleil déclinant, je l’aime bien aujourd’hui mon semi-rigide. Je rêve déjà à la prochaine sortie. Il me faudra convaincre quelques camarades pour m’accompagner. Marc me répète plusieurs fois que l’aiguille de Prony, il faut la faire de nuit car c’est tapis de crabes et autres crustacés. Mais aussi, caché dans l’ombre …

Avis aux amateurs.