Accessibility Tools

3 Juillet 2024

Cet après midi, j'abandonne la joyeuse confusion de la plongée avec les Morses pour une aventure insolite: j'ai mon billet pour un aller retour dans un sous-marin de poche à moins trois cents mètres. Un peu d'appréhension bien entendu, si quelque chose se passe mal, j'aurai l'air bien malin. Et de repenser à quelques films ou romans catastrophes racontant les derniers instants angoissés de sous mariniers pris au piège. Mais la curiosité est trop forte et, au final, c'est comme pour le saut à l'élastique: il faut arrêter de réfléchir et se lancer dans le vide.

Dans les grands fonds en l'occurrence. Le pilote est très jeune: 23 ans. C'est le premier pilote de sous-marin du Costa Rica. Un sacré coup du destin pour un moniteur de plongée venu au Coco sur un job d'été. On commence par la pesée pour ajuster le lest de l'engin. Nous sommes deux passagers: moi et John. On se voit affubler d'un bleu de travail et de chaussette: il ne faut surtout pas salir le vaisseau. Après viennent les consignes de sécurité: que faire si le pilote perd connaissance? Cela commence bien, je n'avais pas pensé à cette éventualité. Heureusement John est pilote d'avion. Il a un peu le look d'un aviateur british de la seconde guerre mondiale, avec yeux bleus et moustache. D'ailleurs, visiblement c'est sa motivation: voir comment se pilote un sous marin. J'écoute quand même au cas où. Et je vous donne la réponse, cela pourrait peut être vous servir un jour: purger les ballasts avec la valve à air comprimé pour remonter.
 RemyCoco1
 RemyCoco2

Les consignes rapidement avalées de travers, nous voilà sur le pont pour embarquer dans le sous marin. Il faut se faufiler jusqu'à son siège car la place est comptée. On doit se tasser à trois dans une sphère de deux mètres de diamètre. Avec toutes les commandes qui sont nombreuses. Un lot de commande pour recycler l'air, car la sphère hermétique est une sorte de recycleur avec contrôle du CO2 et de l'oxygène. Un joystick pour la mobilité de l'engin: il y a des hélices dans tous les coins. Je comprends que la flottabilité est positive et que les hélices doivent pousser en permanence vers le bas pour maintenir le sous-marin sous l'eau. C'est à la fois la même chose et l'inverse d'un hélicoptère. Si les pales s'arrêtent, l'hélicoptère se crashe au sol. Si les hélices, s'arrêtent le sous marin se crashe à la surface! Plutôt rassurant. Enfin un écran pour se localiser sous l'eau. Et nous avons aussi une liaison radio avec un bateau annexe en surface.

L'annexe nous amène a la limite d'un plateau situé à -200 mètres bordé d'une falaise sur le tombant de laquelle nous iront tâter les - 300 mètres. L'objectif est d'aller le plus rapidement possible à - 300 mètres, puis de remonter doucement en surface, du moins on l'espère. Un marin nous largue et c'est l'immersion dans le grand bleu. Les ballasts se remplissent. Un dernier coucou du marin, la surface s'éloigne. Nous regardons le profondimètre avec fascination égrener les profondeurs. -30 mètres, nous avons tous l'air de stroumpfs bleus. Tous les plongeurs le savent, mais là, de se voir habiller sans masque tout bleu, c'est vraiment incongru. -100 mètres, on voit en ombre chinoise un requin marteau nous survoler. Et la descente continue.

-150 mètres, tout devient noir. Enfin tous les spots sont allumés. Mais à part éclairer le néant ... Où suis-je ? Et puis c'est étrange, il a dit que le plateau est à -200 mètres : nous sommes à -180 mètres et j'ai beau écarquiller les yeux, je ne vois rien de rien. Va t'on se crasher sur le plateau ou pire chuter dans les abysses? Un coup d'œil au pilote: il a l'air diablement concentré. Cela cache t'il quelque chose ?

Enfin, soulagement. Le plateau couvert de sable apparaît. C'était -215 mètres, j'avais mal écouté le briefing sans doute. Nous n'avons pas l'air trop perdu. Ouf! Sans attendre, nous nous approchons du gouffre. Une raie mobula venue de nulle part apparait à la marge du plateau et nous survole à moins d'un mètre. Enfin, c'est difficile à dire car en fait dans la sphère tout parait deux fois plus petit, plus près donc. Le sous marin dispose de deux lasers rouges séparés de 30 cm, mais on a l'impression qu'ils ne sont éloignés que de dix quinze centimètres. Je ne sais pas comment le pilote fait pour s'y retrouver, la vision est très perturbante. Surtout si l’on ne regarde droit en face de soi, mais en biais dans la sphère.

 RemyCoco3
 RemyCoco4

Et c'est la plongée dans les abysses le long du mur. -250 mètres, -290 mètres, -300 mètres, nous y voilà! Toujours vivant! Il y a un second plateau de sable. Une chance sur dix de rencontrer un requin "prickly shark"; Pas de traduction en français, vu qu'il vit au delà de 100 mètres, pas grand monde a du le croiser. En tout cas, ce ne sera pas moi non plus. Tant pis, on remonte doucement le long du mur. Quelques coraux et micro éponges, le sous marin s'enfile dans un canyon et rejoint lentement le plateau.

Là plus de vie, et en particulier un "jello nose fish" ou poisson à « nez en gelée ». Il ressemble en fait à une mostelle mais avec un très gros nez (tout mou on imagine). Sur le sable, il y a plein de crabes. Près d'un rocher, on aperçoit plein d'anthias, des poissons scorpions et des tas de mérous de grande taille. Ainsi qu'un serpent ou une murène de couleur jaune et bleue. Moins de vie que dans une plongée normale, c'est certain. Mais c'est un autre monde que l’on illumine brièvement. La frontière des abysses.

Voilà venu le temps d'entamer la remontée. On croise une dernière raie mobula attirée par les bulles qui s'échappent des ballasts. Le monde commence à reprendre des couleurs. Le bleu tout d'abord. Puis on aperçoit la surface. Un oiseau nous survole et on crève enfin le plafond: le ciel! Quel soulagement de revenir dans notre monde. C'était vraiment une expérience de science fiction.

RemyCoco5