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2 Mai 2024

Cela fait longtemps que je n’ai plus écrit sur la plongée. Une fatigue due aux privations de liberté à répétition liées au Covid et que j’estimais le plus souvent injustifiées, quelques remarques un peu méchantes sur l’absurdité d’un texte sans photo ou plus simplement le manque de temps et la paresse. Je ne saurais le dire exactement. Mais j’ai eu beaucoup d’encouragements aussi, je dois le reconnaitre, merci à vous ! Et aujourd’hui, j’ai quelques heures à perdre, alors au boulot.

  • Qu’est-ce que c’est que la plongée en eau bleue ou « blue water diving», comme disent ceux qui la pratiquent ?

C’est le fait de plongée au large, dans le grand bleu, loin de la côte ou du fond, sans aucun repère terrestre rassurant …

  • Quel intérêt alors, si c’est juste pour voir de l’eau bleue ?

Bonne question. C’est sans doute la raison pour laquelle peu nombreux sont les plongeurs qui ont essayé. Mais bien évidemment, ils ont tort. S’il n’y a pas autant d’abondance de vie que près d’un récif, du fond ou de la côte, il y a quand même de la vie. Et en plus une vie différente de celle que l’on peut observer dans nos plongées habituelles. Alors, en avant pour deux histoires de blue water.

La première se déroule à quelques miles au-delà de l’île de Riou, au plus cinq miles car on la voyait parfaitement ainsi que nos belles calanques depuis le bateau. Avec mon ami Charles qui partage un voilier avec moi et quelques amis marins motivés, nous étions partis à Calvi depuis Marseille pour un aller-retour à la voile. Beaucoup de miles et d’heures de mer pour boire une bière à Calvi, j’en conviens. Mais le plaisir est justement dans la navigation en haute mer.

Rien de particulier à signaler sur ce week-end. Temps parfait, bière fraiche, bon vent portant, pas d’incident grave, bref un week-end voile sympathique et pépère. Jusqu’à ce que, alors que nous venions à peine d’entre apercevoir Riou, nous nous retrouvions au beau milieu d’un banc de globicéphales !

  • Ah mais tu nous la déjà raconté cette histoire !

Ah oui, c’est vrai. Après une recherche sur le site de www.mslc.fr avec le mot globicéphale, je me rends compte que je suis sur le point de radoter. Ceux qui veulent la dire la trouverons, et pour ceux qui ne regardent que les photos, et bien la voici :

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2016 au large de l’île de Riou

Alors voici la seconde histoire d’eau bleue. Celle-ci, je suis certain de ne pas vous l’avoir racontée, puisqu’elle s’est déroulée pendant le congé sabbatique que je viens de terminer.

Comme vous le savez peut-être, un de mes principaux dadas (objectifs, obsessions, passions …) est de rencontrer requins et gros mammifères marins. Comme beaucoup, quand j’ai commencé la plongée, je pensais qu’il n’y avait qu’un type de requin : celui des dents de la mer. Depuis, je sais bien que non et je collectionne les espèces. Il y a bien des milliers de bird  watchers, et bien je suis devenu un shark watcher, comme de plus en plus de plongeur.

Je pensais avoir presque tout vu en Calédonie comme espèce de requin. Requin gris, léopard, pointe blanche de récif, albi, citron, bouledogue, baleine, marteau ou dormeur. J’ai même eu la chance exceptionnelle de voire quelques secondes un requin renard, même si mon binôme a raté la photo. Je le regrette car je n’ai rien contre la photo, bien au contraire. D’ailleurs, en voilà une de substitution :

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Pas de photo …alors un dessin.

Nous ne sommes sans doute pas plus d’une poignée de plongeurs à avoir vu ce type de requin en Calédonie. Mon ami Marc a été désigné consultant requin renard : il a acquis ce statut d’expert pour être le seul à l’avoir vu deux fois en Calédonie.

J’étais déjà très content de pouvoir afficher cette barrette à mon palmarès. Mais j’ambitionnais toujours de voir un requin soyeux, que plusieurs plongeurs sur le territoire ont déjà pu observer. Le problème est que son territoire est justement l’eau bleue, le large, le Pacifique …

J’avais déjà envisagé il y a quelques années d’aller tenter avec mon zodiac une plongée sur des DCP (dispositif de concentration de poisson, en fait une bouée avec un morceau de filet, ancrée au large, au milieu de nulle part pour attirer les poissons de haute mer et faciliter la pêche au gros). Mais peu de plongeurs sont enthousiastes à l’idée de se faire tabasser au large, prendre le risque après des heures de navigation de plonger pour ne rien voir … Impossible de trouver des volontaires pour m’accompagner. Pourtant le risque, la patience et l’endurance sont nécessaires. Il faut tout cela pour mériter une rencontre dans l’eau bleue.

C’est ce que je racontais à notre skipper émérite PeeWee, assis au poste de pilotage dans un siège baquet, tout en poursuivant une navigation vers le nord sur notre catamaran à moteur. J’avais d’ailleurs un peu honte de lui raconter mes fadaises. Mais cela occupait toutes ces heures de navigation à longer le récif vers le récif Cook au Nord de la Calédonie. Et oui, comme toujours, un des plaisirs d’être en mer, c’est aussi de raconter des histoires.

J’avais dû en rajouter quelques couches, ou me répéter plusieurs fois, à l’occasion de longue séance de traine ou de préparation de sashimi de thon. Car PeeWee est en plus de skipper, un pécheur hors pair, un poissonnier habile pouvant lever des filets en deux tours de main et un grand cuisinier de produits de la mer.

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                        La pêche et la préparation du poisson avec PeeWee, cela ne rigole pas !

Je n’y pensais déjà plus et j’étais en train de dormir du sommeil du juste et du bienheureux sur le chemin du retour, digérant un sashimi de thon jaune d’anthologie bien arrosé, bercé par le ronronnement de notre catamaran quand soudain …

Brusque réveil. Le moteur est arrêté. C’est quoi encore ? En plein milieu de la sieste en plus, fan de chichourle ! Je me précipite alors sur le pont, pensant que nous avions peut-être heurté une baleine ou croisé un banc de dauphin, que sais-je ? Mais je ne vois qu’un chapelet de bouées rouges qui flottent sur une dizaine de mètres en surface. Elles sont reliées entre elles, et à un bout qui plonge dans le bleu. L’eau est transparente. PeeWee m’interpelle :

  • La voilà, ta DCP. Tu veux te mettre à l’eau ?

A vrai dire je ne suis maintenant plus si sûr … Nous sommes loin de la côte, il y a un peu de vague et de vent. Mon grand ami Thierry ne veut pas m’accompagner. Je suis encore à moitié endormi. Quelle idée de vouloir plonger sur une DCP ? Surtout qu’il y a toutes les chances de ne rien voir. Je suis un temps tenté de retourner faire la sieste.

Et puis, je me mets un coup de pied au derrière. On ne vit qu’une fois. Cela fait des années que j’attends l’occasion, c’est maintenant ou jamais. Ce n’est pas le moment de flancher, mais celui de mettre le turbo. Je me motive, je sens l’adrénaline qui monte. J’équipe ma bouteille et j’enfile ma combinaison, tout en criant à la cantonade :

  • Qui m’aime me suive !

A ma grande stupéfaction, plusieurs de mes camarades plongeurs commencent eux aussi à s’équiper. Au moins je ne serai pas tout seul. Je n’aurais pas l’impression d’embêter tout le bateau avec mes lubies. Nous voilà donc une demi-douzaine de plongeurs, y compris mon amie Cécile avec son appareil photo. Nous sommes prêts à nous jeter à l’eau, quand je me souviens de mon aventure avec les loches géantes à Maputo (toujours sur le site www.mslc.fr, chercher Epaves et loches géantes). Alors je demande à PeeWee de me prêter un de ses longs harpons de deux mètres par sécurité. Ainsi armé, je me lance le premier.

Je m’immerge le long du câble sans attendre personne pour me stabiliser à sept mètres. Il y a là effectivement un filet de plastique couvert d’algue et de vie. Et bingo, mes camarades n’ont pas le temps de me rejoindre, que déjà je suis cerné par une demi-douzaine de requins soyeux. Ils sont magnifiques avec leur museau très effilé et deux immenses nageoires pectorales.

 Ce sont des requins que l’on peut classer dans la famille des inquisiteurs. Ils sont arrivés dès le premier plongeon et nous tournent autour. Ils ne sont absolument pas agressifs, juste curieux. J’imagine que c’est une qualité nécessaire pour survivre dans le blue water.

Quand ils approchent de trop près, je tente de les repousser avec la pointe du harpon. Je sens leur peau épaisse. Ils ne réagissent presque pas à mes piques : c’est à peine s’ils s’éloignent d’un modeste coup de queue méprisant, pour revenir aussitôt poursuivre leur enquête. Au moins, cela donne à Cécile plusieurs occasions de réussir de belles photos.

Ne nous trouvant pas à leur goût, ils se lassent rapidement et au bout de quelques minutes, ils prennent le large, s’éloignant dans le bleu. Alors je donne le signal de la remontée. De retour sur le pont, je regarde mes paramètres : 7 minutes à 7 mètres. Mais pour moi, c’était la plus belle plongée de l’année. Une plongée suivant parfaitement le plan que j’avais imaginé il y a des années, avec le plein d’adrénaline et cerise sur le gâteau : une nouvelle espèce de requin à mon palmarès.

Alors, à quand une séance de blue water à Marseille ? Des volontaires pour une virée avec le Toine de l’autre côté de Riou ? Qui lève le doigt pour un peu d’aventure ? Qui sait si une bande de globicéphales n’est pas en train de nous attendre. Voir même un cachalo.

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Rémi Fritsch