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12 Mai 2024

En ce début de troisième millénaire, le pèlerinage de St Jacques de Compostelle attire des milliers de pèlerins venus des quatre coins du monde ; pourquoi des hommes et des femmes différents par leur  nationalité, culture, éducation, niveau social & expérience font le choix d’une parenthèse dans leur vie matérialiste et confortable pour se lancer sur le Camino avec pour seul  équipement un sac, un bâton et un chapeau ?

L’origine du chemin de St Jacques de Compostelle est essentiellement religieuse en cette période de ferveur médiévale. La découverte de la sépulture supposée de Jacques le Majeur en l’an 813 (frère de Jean, l’apôtre que Jésus préférait) fut exploitée de différentes manières : religieuse et politique, elle encouragea  la résistance des chrétiens contre l’occupant musulman, une lutte de civilisation où s’affrontaient les villes de Cordoue (le croissant de lune) et Compostelle (la croix).La reconquête s’étend sur huit siècles pour s’achever avec la prise de Grenade en 1492, la légende de Jacques  Matamoros (celui qui tue les Maures) a animé la reconquête de l’Espagne .

C’est aux 11 & 12ème siècles que le pèlerinage connut son apogée, des églises, monastères et auberges voient le jour, le diocèse de Compostelle est élevé au rang d’archevêché en 1220. L’activité commerciale prit  un essor considérable encouragée par les rois de Castille, de Léon et de Navarre qui favorisèrent l’installation d’artisans et de commerçants ambulants. Le passage des pèlerins éveillait la curiosité des autochtones et pendant les fêtes locales , ils entonnaient des chansons de leurs régions respectives, ainsi le Camino fut un axe d’échanges culturels et de brassage folklorique dont le chant le plus populaire fut le fameux « Ultreia ».Des rois, des princes et des hauts dignitaires de l’Etat suivirent cette route pour s’incliner devant les reliques de l’apôtre, Louis 7, Richard Cœur de Lion, François d’Assise, Charles Quint…

La Renaissance, la Réforme, les guerres de religion et la révolution française entrainèrent un déclin de la fréquentation du Camino du 15ème au 19ème siècle. Les dernières décennies du 20ème siècle marquent une résurgence du pèlerinage à l’aube de l’ère du Verseau. L’année dernière, 19836 pèlerins  de 56 nationalités se sont présentés au bureau d’accueil de St Jean Pied de Port avec des motivations diverses ( religieuse à 29 %, spirituelle à 24 %, culturelle à 24 % et sportive à 23 %) pour répondre à l’appel mystérieux du Camino !

Pour ma part ,il s’est manifesté en octobre 2009 à Toulouse alors que j’assistais à une conférence intitulée : « le chemin de Compostelle, une quête spirituelle», qui nous a fait un exposé d’une heure sur le sujet suivi d’un forum de questions ; il nous invite à aborder le pèlerinage en quatre temps : la séparation, l’admission, la révélation et le retour, et ce n’est qu’après avoir vécu ces expériences quasi mystiques que le pèlerin en revenant auprès des siens se transcende.

La séparation représente le départ, la rupture avec le quotidien, l’éloignement des proches, l’abandon du confort ; je l’ai ressenti un dimanche 19 septembre 2010 vers 16 heures en arrivant à St Jean Pied de Port au pied des Pyrénées en m’inscrivant à l’accueil des pèlerins et en achetant ma Crédenciale (2 €), une sorte de passeport réservé aux Pèlerins qui donne accès aux auberges municipales à des prix préferentiels (5€) et à des prix préférentiels dans les restaurants (8€) pendant toute la durée du voyage ; à ce moment là ,je me suis senti seul et me suis promené à la citadelle de la ville qui a été construite par Vauban sous Louis 14 pour contenir les espagnols, comme les villes de Mont dauphin plus près de chez nous ou Neuf Brisach en Alsace ; de retour  à l’auberge municipale je croise la bénévole qui entretient les locaux , une dame de 65 ans qui me redonne un peu le moral en m’expliquant qu’elle a fait plusieurs fois le Camino, une expérience inoubliable ; désireux d’en savoir plus, je la presse de questions , le tracé, les paysages, les impressions …elle lève la main pour dire : « stop, tu poses trop d’ questions p’tit, t’auras qu’à t’ rendre compte par toi-même et pour l’instant va t’ coucher car demain le réveil est à  6 heures  et l’étape est longue ! » ; le dortoir est une grande pièce de  15 m sur 10 avec  20 lits en fer gris superposés, tout le monde est couché à 22h30, les ronflements démarrent peu après, je place les boules Quiès dans les oreilles ; dur, dur la séparation !

Lundi 20 septembre , St Jean Pied de Port à Ronceveaux ; l’admission est l’interaction entre l’homme et le Chemin, il devra se faire admettre, s’harmoniser avec lui ; pour moi elle a commencé lundi 20 septembre par un réveil à 6 h du matin et un copieux petit déjeuner, le temps de réunir mes affaires dans le sac, j’étais dehors à 7 h , il faisait nuit et froid ! je sors de la ville et rejoins le sentier balisé en compagnie de 2 québécoises, la mère et la fille avec lesquelles nous devisons jusqu’au refuge d’Oraison trois heures plus loin où elles s’arrêtent car elles ne veulent pas faire la première étape jusqu’au col de Roncevaux d’une seule traite ; après s’être désaltéré et avoir bu un  café, au moment de les quitter, la mère me recommande de ne pas me « raquer », traduit en marseillais de ne pas me «  fracasser » ! Fort de ces recommandations, je reprends la route, j’ai de la chance car il fait beau, le soleil est au rendez-vous et il commence à faire chaud, l’ascension du col est raide, je souffle comme un bœuf et râle après le poids du sac, bien trop lourd, la juste charge doit faire 10 % de ton propre poids, soit 8 kg me concernant, mon sac pèse  15 kg… 2 fois trop lourd, pourtant en octobre dernier , le conférencier avait bien insisté sur le fait que la difficulté principale du Camino résidait dans le poids du sac ! Après un repas de midi dans une prairie au sommet du col d’Ibaneta. au milieu de quelque chevaux, les jambes commencent à se faire lourdes et la descente sur RONCEVAUX par un sentier très raide met les adducteurs à rude épreuve . Je dois à ce titre rétablir une vérité historique : le 15 aout 778, ce ne sont pas les sarrasins qui ont attaqué l’arrière garde de l’armée de Charlemagne commandé par le comte Roland mais les Vascons de Navarre (basques) qui préféraient être soumis aux musulmans qu’au roi  franc ; la vérité ne s’apprend pas toujours dans les livres d’histoire…  Arrivé à l’auberge du pèlerin à 16h, je paye la nuit et le repas respectivement  6 et  8€ grâce à ma Crédenciale que j’ai fait tamponner au bureau des entrées avec le seau de l’étape et la date de passage ; la soirée classique du pèlerin se déroule de la façon suivante : douche, lavage à la main de sa petite toilette du jour : chaussettes, slip, tricot ; un repos léger de 30 mn, un mail ou sms aux proches pour les rassurer,  une découverte de la ville, le diner à partir de 19 h et retour à l’auberge avant 22h30 sous peine de trouver porte close et de dormir à la belle étoile et à Roncevaux les nuits sont fraiches ! Le lieu est connu, mais il ne compte que le monastère et ses édifices annexes et 2 bars restaurants ;chaque soir entre 18 et 20h, une messe a lieu dans l’église de Nuestra Senora avec une bénédiction des pèlerins prononcée en 7 langues ! Le dortoir est immense : 80 m de long, 30 de large et 20 de haut, il  peut contenir 110 lits ! une bâtisse ancienne toute en pierre haut de plafond qui date du moyen âge mais dont les sanitaires ont été remis à neufs l’an dernier, ouf ; le diner du pèlerin est servi à 20h dans le resto du coin, nous sommes installés par tables de 8 avec trois italiens dont  Alessandro , un bout en train qui fête son départ à la retraite , deux belges et un basque, le repas est copieux : soupe, truite farcie au jambon, rôti de porc, gratin dauphinois, fromage, glace et café et on termine en chansons avec  Alessandro et le basque ! Au dortoir un groupe de marcheuses (retraitées) de Brignoles s’est installé  à  côté de moi, on échange nos impressions et en définitive malgré la difficulté et les problèmes musculaires je suis satisfait de ma première journée et décide de poursuivre l’aventure. Dur l’admission !

Mardi 21 septembre, Ronceveaux à Larrasoana, je me réveille à 6h , mes jambes sont lourdes, heureusement je n’ai pas d’ampoules aux pieds à la différence de nombreux marcheurs, il faut dire que j’ai investi dans deux paires de chaussettes spéciales trekking à 12 € la paire, cher mais semble t’il efficace ! On ne sert pas de petit déjeuner à l’auberge de Roncevaux, je prends donc un thé au distributeur et Chantal l’angevine (infirmière à Angers) me donne des biscuits et fruits secs, on avait fait connaissance la veille dans la salle internet  . Je prends la route à 6h45, il fait nuit et froid (encore) et je sors la frontale car on traverse un sous-bois dans lequel le clair de lune est inefficace ; au sortir du bois le jour se lève , les champs apparaissent alors que le brouillard se dissipe, les vaches paissent , un taureau monte une vache à 8h30, matinal le taureau espagnol, c’est la nature ! Je croise Chantal l’angevine, on mange ensemble dans les champs , il fait chaud et on se repose une petite demi-heure ; en me levant je traîne la patte, Chantal qui tient la forme m’abandonne, chacun marche à son rythme sur le Camino, j’arrive à LARRASOANA à 16 h crevé, j’ai mal au dos ; l’auberge est rustique mais bon marché à 8€ la nuit grâce à la crédenciale ; douche, lessive, internet, repos, visite du village, les maisons ont des façades en pierre et bois avec des géraniums au balcon qui me rappellent les villages de moyenne montagne en Alsace ; retour à l’auberge vers 21heures ,bien des pèlerins se plaignent des ampoules, moi rien, vive les chaussettes trekking à 12€ , je décide de poursuivre ma route, l’admission est en cours.

Mercredi 22 septembre, Larrasoana à Pampelune, je me réveille tard à 7h, traine un peu (mal aux jambes et au dos),  me fais un thé , grignote un pain au lait acheté la veille, ne pars qu’à  8h et marche  seul  jusqu’à  11h , je croise un couple de retraités de Puyricard que je n’avais pas encore vu car ils ne dorment pas dans les auberges municipales mais dans des chambres d’hôtels ou d’hôtes, on s’arrête à Burlata prendre un café. Ils restent et je repars car je préfère grignoter dans la nature ; j’arrive vers 16h à PAMPELUNE, ville fondée en 75 avant JC , occupée successivement par les Goths en 345, les Francs en 541, les Vascons en 602,  les arabes en 716, Charlemagne les chasse en 778… l’auberge municipale « Jésus y Maria », une ancienne abbaye reconvertie en refuge, remis à neuf l’an dernier avec cuisine , buanderie, machine à laver, une grande cour intérieure, la classe pour 5€ ! Après la toilette et lessive, je sors dans la vieille ville et m’achète un sac de voyage, j’y transfère tout le superflu contenu dans mon sac de randonnée et l’envoie par transporteur à BURGOS, ville que j’ai prévu d’atteindre le vendredi premier octobre ! Je ne garde que le strict minimum avec deux changes, une polaire, un Kway, un pantalon de pluie, une serviette, une brosse à dent , dentifrice, un pain de savon, qq médicaments sans les boites et mes papiers, basta ! Content de moi, je croise Alessandro, mon copain  retraité italien qui m’invite à me joindre à eux ce soir, ils vont dans un bar à tapas que Manuel, un pèlerin espagnol se charge de nous dénicher ; je ne l’ai pas regretté, on s’est régalé, les tapas  étaient délicieuses et avec de la bonne bière la fatigue s’est presque dissipée.

Jeudi 23 septembre , Pampelune à Puenta la Reina, réveil à 6h30 ,les douleurs des membres inférieurs n’ont pas disparues,  départ à 7h, la sortie de la ville est agréable, un peu long mais le tracé est réalisé par l’incrustation de coquilles saint jacques au sol, magnifique ! Après on  commence par longer l’autoroute pendant une heure avant de traverser des collines équipées d’éoliennes et on fait l’ascension du col « Alto del Pardon » où nous attend une buvette et des statues en fer rouillé représentant Don Quichotte, il est 11h30 et je m’octroie une pause casse-croute, je me félicite d’avoir allégé mon sac , je n’ai plus mal au dos. Plus tard en marchant seul, je m’aperçois que les mûres sont  particulièrement grosses et bien noires à la différence de celles que j’avais vues jusqu’à présent, je m’arrête et déguste ces fruits que la nature me donne et constate que le sentier s’est vraiment rétréci, pas de doute ,je me suis égaré ! Je rebrousse chemin et vois au loin des marcheurs qui suivent une route différente de la mienne, je me remets dans le droit chemin, merci les mûres ! J’arrive à l’auberge de la ville de PUENTA de la REINA à 16h en compagnie de Fabio, l’ami italien connu le premier soir lors du dîner au col de Roncevaux, il souffre de contractures aux mollets mais tient le coup. La visite de la ville passe par l’église de Santiago du 12ème siècle, un portail avec sa voussure centrale aux arcs polylobés inspirés de l’art mozarabe , à l’intérieur un magnifique retable baroque raconte la vie de Saint Jacques ; le pont est un bel ouvrage d’art roman assez bombé avec 6 arches de 110 m de long ; j’en profite pour acheter un bâton de pèlerin avec l’insigne du bourg, il ne me manque que la coquille St Jacques pour jouer au pèlerin moyen ! Après un diner léger ,retour à l’auberge municipale à 22h et je m’endors profondément sans demander mon reste. Le Camino a validé mon admission.

Vdi 24 septembre, Puenta de la Reina à Estella, réveil à 6h30, les douleurs ont presque disparu, départ dans la foulée car l’auberge n’a pas de cuisine, pas de distributeurs, je prends un petit déjeuner en route dans un bar avec une  tortilla (omelette) baveuse à souhait et des tranches de ramon (jambon cru) puis je marche seul jusqu’à midi , heure à laquelle je m’installe à une table en bois dans un jardin public pour mon repas de midi, saucisson avec du pain et melon achetés sur la route ; à coté de moi viennent s’installer deux couples de français retraités qui eux sont très bien équipés, boites de conserves, Tuperwar, fruits secs , jus de fruits , le tout ramené de France ; deux philosophies différentes s’affrontent, pour ma part  je mange la charcuterie locale, bois l’eau des fontaines et déguste les fruits de saison de la région traversée, toujours en échangeant quelque mots avec les gens du cru qui rient de mon accent mais apprécient que je m’adresse à eux dans leur langue…une pèlerine s’avance vers notre table pour déjeuner, elle s’appelle Adriana et vient du Mexique, une copine à elle qui vient de Costa Rica nous rejoint ; les deux filles parlent espagnol et anglais mais pas français ; j’ai remarqué que très peu d’étrangers parlent français (allemands, anglais, espagnols, italiens) mais tous parlent anglais donc quand on veut voyager en dehors de France, avec l’anglais et l’espagnol on se débrouille . On m’avait dit que le Camino attirait de nombreuses nationalités , mais je suis surpris de voir des gens venant d’aussi loin , outre les européens, j’ai croisé des néozélandais, des australiens, des canadiens, des sud-africains même des chinois, il ne manquait que nos amis ricains …je continue jusqu’à ESTELLA avec mes deux nouvelles copines pèlerines avec lesquelles je partage le repas du soir ; avant nous avons visité l’église principale qui appartenait en 1123 à l’ordre hospitalier du Saint-Sépulcre, le palais des rois de Navarre et l’église San Pedro de la Rua… à 21h, les 2 pèlerines veulent assister à la dernière messe, on est plutôt pratiquant en Amérique centrale… et on finit la soirée à l’église, très belle comme la plupart des églises en Espagne qui à la différence de la France sont financées par l’Etat.

Samedi 25 septembre, Estella à Los Arcos, réveil à 6h , les courbatures ne sont plus qu’un mauvais souvenir, je me sens en pleine forme et commence à marcher à 7h, la ville est déjà en pleine agitation (circulation, bruit, pollution) ; après le monastère d’Irache ,on trouve une fontaine à vin réservée aux pèlerins, j’en remplis une bouteille de 500 ml et c’est avec un réel empressement que je retrouve la forêt que je traverse sous la pluie bien à l’abri des feuillus, les odeurs de plantes remontent du sol, après quelque jours en immersion totale dans la nature, les perceptions s’affinent et je prends mon temps ,hume l’air, touche les fougères, repère des traces de sangliers et perds mon chemin…je ne vois plus la trace symbolisée par une coquille St Jacques bleue cerclée de doré ; je me pose et réfléchis : ma destination finale est située à l’ouest, en sachant que la mousse se colle toujours sur la face nord du tronc des arbres, je situe ma route et pars guilleret, un peu amusé d’avoir à utiliser des méthodes d’une autre époque à l’ère des internet, GPS et autres technologies modernes ! je marche seul pendant 4 heures sous une bruine agréable ; je sors de la forêt et poursuis sur un chemin qui en croise un autre sur lequel marche Manuel, le copain espagnol rencontré à Pampelune et on finit le chemin ensemble en parlant philosophie, spiritualité et bouddhisme. Arrivés à LOS ARCOS, il me persuade de prendre une chambre à 2 lits dans une auberge privée, le tarif reste correct : 30€ pour deux et on peut profiter d’une machine à laver dans la buanderie, pas de petite lessive manuelle aujourd’hui ! Après la douche, on descends sur le porche , il y’a un mariage sur la place du village et on est invité à boire un verre par les mariés , on nous explique que les pèlerins du Camino sont les bienvenus dans toute l’Espagne ; on grignote des tapas en buvant de la cervesa dans un bar dans lequel le serveur a exposé une petite moto en bois sur le bar et devant mon air admiratif car motard dans l’âme , il nous amène dans son garage pour nous dévoiler son chef d’œuvre, une Harley Davidson grandeur nature entièrement en bois, magnifique, une belle rencontre !

Dimanche 26 septembre, Los Arcos à Logrono, réveil à 7h, on est dimanche, je traine un peu et me paye un gros petit déjeuner pour 3€, copieux avec du salé et du sucré et prend la route à 9h. Le paysage a changé, on traverse maintenant des vignes dont le raisin est à maturité et j’en profite largement, je marche quasiment seul toute la journée en saluant les quelque pèlerins , pèlerines que je croise, la fin du parcours est difficile et je n’arrive à LOGRONOS qu’à 18h avec une douleur à la cheville, heureusement il reste de la place à l’auberge municipale ou je retrouve Chantal l’infirmière angevine à qui je montre ma cheville qui a doublé de volume ; pas de problème pour elle, un massage, un bandage, un cachet anti inflammatoire et le tour est joué, elle me traite presque de mauviette …je ne visite que l’église de Santiago el Real, connue pour sa célèbre représentation baroque de Santiago Matamoros . En fin de soirée je retrouve mes amis italiens Sandro, Iouri & Fabio pour boire un dernier verre ; c’est toujours un plaisir de se retrouver pour partager les impressions de la  journée et surtout constater avec soulagement qu’aucun(e) d’entre nous n’a  abandonné.

Lundi 27 septembre, Logronos à Najera, réveil à 6h, départ à 7h avec Manuel et Chantal, on traverse les vignes de la Rioja, connue pour son vino  tinto ( rouge) très aromatique provenant de sols secs avec un climat chaud;  je déjeune avec Santiago, le joueur de flûte et son copain dans un bar routier où je déguste une tortilla chorizo bien baveuse , du vin , du fromage dur avec du pain, c’était délicieux ; en y réfléchissant bien ce repas ne casse pas deux pattes à un canard et je l’aurai certainement critiqué dans mon univers quotidien, mais là dans ces circonstances particulières , on apprécie les choses les plus simples, on ne réagit pas de la même manière ; après une semaine de camino, on s’est déconnecté des turpitudes de la vie moderne et çà fait vraiment du bien ! arrivé à Najera , je retrouve les deux copines pèlerines sud américaines attablées à un bar à siroter une bouteille de vin rouge…elles ont pris le bus, chacun fait le camino à sa façon, on ne doit pas juger mais faire preuve de tolérance ; on visite le monastère de Santa Maria la Real, édifice fondé vers 1040 par le roi de Navarre Sancho 3, qui déclare la ville capitale de la Navarre en 1056 et fonde l’ordre militaire des chevaliers de la Terraza, mais tombe sous la domination du roi de Castille en 1076 ; le soir on se retrouve dans ce même bar avec les italiens à manger une paella, on rigole , on parle fort, et Adriana la mexicaine demande une tournée de Téquila, c’est bon pour la digestion, à la troisième le patron s’assoit à table avec nous et avec la bouteille de Téquila…la soirée se termine bien et il nous invite le lendemain chez lui pour visiter la ville et manger des grillades ; autre remarque à souligner sur le camino, on fait des rencontres insolites avec des personnages haut en couleur parmi les pèlerins ou locaux, sans doute sommes-nous plus réceptifs, moins impatients, moins égocentriques, le camino rend humble, au moins pendant le temps qu’on le pratique !

Mardi 28 septembre, Najera à Santo Domingo de la Calzada, réveil à 6h30, je suis à 7h devant le bar où je déjeune et j’achète un saucisson pour le repas de midi ; à 9h je croise Manuel et on chemine ensemble à un bon rythme, on traverse notamment Rio Alta, une ville morte, symbole de la frénésie immobilière espagnole des années précédentes la crise de 2008, avec ici un golf, une galerie marchande, des immeubles et pavillons luxueux mais tous fermés, à l’abandon, triste exemple de la cupidité et la vanité des hommes… à 11h  on s’arrête pour faire des exercices de yoga et de respirations, nous arrivons à 12h30 à Calzada, Manuel s’installe dans l’auberge de l’abbaye cistercienne, je préfère la municipale , mais on se retrouve pour déjeuner dans un monastère tenu par des bonnes sœurs qui nous acceptent dans leur réfectoire où l’on est servi à table avec nappe blanche et couverts, salades, pâtes, viande, glace, vin et café agrémentent notre menu, trop riche pour moi, j’ai le coup de barre et vais faire une sieste ; à 16 h après la petite toilette quotidienne du linge et du corps je croise Chantal l’angevine et on visite la ville , notamment la cathédrale d’origine romane débutée en 1158 mais achevée au 16ème siècle et son fameux poulailler qui abrite un couple de volatiles blancs dont la présence nous renvoie une légende médiévale , une des plus fameuses légendes du chemin de Compostelle, la légende du pendu dépendu…

Mercredi 29 septembre, Santo Domingo à Belorado, réveil à 6h30, à 7h en bas et commence à marcher avec Chantal, à 7h30 alors que je discutais avec un pèlerin qui pratique des étapes de 30 à 40 km par jour, je m’aperçois que j’ai oublié de ramasser mon linge lavé la veille qui sèche dehors, j’arrive à 7h50 juste avant 8h, heure à laquelle l’auberge ferme, ouf ! la journée est chaude, les champs de tournesols ont succédé aux champs de vigne, j’arrive à Belorado  à 16h et choisis une auberge privé avec des chambres doubles, un dortoir commun, une grande salle à manger/cuisine dans laquelle la patronne propose un diner à 10€ à partir de 19h auquel je souscris, il faut assurer au moins un repas équilibré par jour quand on marche plus de 20 km par jour : salade, paella, viande, légumes, flanc et vin…

Jeudi 30 septembre, Belorado à San Juan de Ortega, je prends le petit déjeuner avec un couple de Toulousains, la cinquantaine, jeunes mariés, lui va jusqu’à Burgos, elle veut aller au bout et elle semble bien déterminée ! je commence à marcher à 7h30, le paysage est très agréable, des petits chemins en pleine nature, des petits villages, pas de routes à longer, je marche seul presque toute la journée, je déjeune seul à l’Ermita de Valdefuntes : saucisson, fromage à pâte dure, tomates, eau de source ; on traverse une grande forêt de chênes sur un chemin en ligne droite pendant plus de 5 km , on a déboisé les arbres sur 10 m de chaque côté, c’est très joli mais un peu monotone, j’en profite pour découvrir les sous-bois tapis de mousse, je me suis attardé quelque minutes car il y faisait tellement frais par rapport au sentier en plein soleil ; j’arrive à destination à 14h, je bois un café avec mes amis italiens Fabio et Iouri et décide de continuer encore un peu, l’auberge est en pleine forêt, agréable certes , certainement propice à la méditation car adossé à un monastère ; je marche jusqu’à AGES au travers d’un paysage qui me fait penser aux montagnes d’Alsace, on est à + de 600 m d’altitude et pourtant il fait plus de 30 ° ; Ages ,petit bourg en pleine campagne mais avec une auberge municipale, un hôtel restaurant, un bar , une épicerie, grâce à la fréquentation des pèlerins ; l’endroit est accueillant et je décide d’y passer la nuit, je retrouve mes amis espagnols Santiago et Luis et dîne avec eux, un excellent repas , arrosé de vino tinto de la Rioja, peut être un peu trop car j’ai du mal à remonter les escaliers qui mènent au dortoir et dans la nuit Santiago vient me secouer car je ronfle comme un Airbus 380 au décollage…

Vendredi 01 octobre, de Ages à BURGOS, je me lève à 5h30 après une bonne nuit grâce à un profond sommeil…me paye un Desayunos (petit déjeuner) copieux et marche à 6h30, il fait nuit et froid, le ciel est étoilé mais je dois sortir la frontale, je rencontre le couple de Montpellier vu la veille à l’auberge, ils ont commencé depuis le Puy en Velay et vont jusqu’à Santiago, chapeau bas ! l’arrivée  à Burgos se fait par une grande ligne droite qui traverse une zone industrielle, c’est gris, moche, bruyant ; une fois passé le pont du Rio avec les statues de lions, on pénètre la vieille ville qui fut fondée au 9ème siècle et servait d’avant poste militaire tentant de résister à l’avancée des musulmans, elle prit son indépendance en vers 930 et fut déclarée capitale du conté de castille et Léon puis fut élevée au rang de siège épiscopal en 1074 ; la visite de la cathédrale Santa Maria est incontournable, longue de 84 m et large de 60 m, elle compte parmi les plus grandes d’Espagne et d’Europe et est classée au patrimoine mondial de l’Unesco ; le début de la construction date du 13ème siècle avec des architectes locaux, mais les plans des nefs et des portails viennent de France ou les cathédrales gothiques poussent comme des champignons . La rue piétonne principale est pavée de coquilles saint jacques jusqu’à l’auberge municipale qui ouvre à 13 h, douche, lessive, sieste ; il était temps que j’arrive car mes chaussures sont cuites, je les abandonne avec une pensée affectueuse en les remerciant de m’avoir porté jusqu’à ma destination finale ; je récupère le sac envoyé de Pampelune et me renseigne sur les moyens de retour, cela sera train et bus ! Le soir on fait une fête avec Santiago qui est du coin et les autres dans un resto à tapas bien sûr, échanges des coordonnées, promesses de s’écrire, de s’envoyer des photos, embrassades, la séparation est difficile, on a passé de si bons moments !

Samedi 02 octobre, Burgos à St jean Pied de Port, réveil à 6h, je marche avec mon sac redevenu bien lourd jusqu’à la station de bus pendant ½ heure, j’ai le temps de prendre un copieux petit déj , café crème, thé, 2 pâtisseries pour 3€80 ; je prends le bus à 8h40 pour la gare TGV qu’ils ont construit à l’extérieur de la ville à ½ heure de route ; je prends le train à 10h25 qui traverse l’Espagne, les Pyrénées, Bilbao, St Sébastien, Irun et Hendaye, ma destination à 15h42; je prends un TGV à 16h16 pour Bayonne où je prends un bus qui me ramène à mon point de départ, St Jean Pied de Port, je m’installe dans une pension et passe une soirée calme à me remémorer mon périple.

Le camino , avec la troisième étape : la  révélation , que je ne commenterai pas faute de l’avoir ressentie, je l’avoue humblement ; une pensée Adriana la mexicaine, Yasmine la portoricaine, Chantal l’angevine, Sue l’afrikaner, Manuel l’espagnol, Alessandro, iouri & Fabio les italiens…  qui ont été mes compagnons de route et qui m’ont agrémenté le voyage ; le camino un club de rencontres ? non une grande fraternité humaine