Le coin des Morses
Concours de pêche (Espadon voilier)
Je n’avais dès lors plus qu’une obsession : trouver un embarquement pour le concours de pêche. Mais comment faire ? Les équipages ne peuvent pas dépasser plus de six personnes. La règle avait été imposée l’an dernier pour niveler les chances, car les plus gros bateaux avaient tendance à emmener le plus de monde possible afin de maximiser le nombre de bras et de cannes à la pêche. Pas très fair play pour les petits bateaux. Naturellement les meilleurs bateaux étaient complets depuis longtemps avec les membres les plus expérimentés.
Alors Miguel me conseilla de tenter ma chance avec Edgar. Son bateau n’était plus tout jeune, il venait juste de passer in extremis la visite technique obligatoire du club. Edgar n’avait pas non plus la réputation d’être un grand marin ou le plus habile des pêcheurs. Je comprenais qu’il tenait à participer car cela donnait droits à quelques avantages dans le club en terme de priorités ou de cotisations. Et puis il était tout seul. Il acceptait immédiatement mon offre, trop heureux de trouver un équipier.
« Mais tu sais, je viendrais te chercher à 4h00 du matin. Il faut arriver tôt si on veut avoir le temps de mettre le bateau à l’eau avant l’aube. »
***
Plus le jour du concours approchait, plus c’était l’effervescence au club. Vérification du fil dans les moulinets, quelques gouttes d'huile sur les roulements, sertissage du tout dernier modèle de rapala sur les bas de ligne, contrôle des émerillons, substitution des hameçons rouillés par des neuf, affutage des pointes ... Idem pour les moteurs : plein d'essence, vérification des niveaux, nettoyage des filtres, serrage des cosses de batteries ... Et puis, c’était aussi le moment pour chaque groupe d’élaborer la meilleure stratégie, fonction de la saison, de la météo et surtout des coins secrets de chacun. Les cartes marines étaient de sortie à l’abri des regards dans les hangars. Je m’amusais à tendre l’oreille.
"Alors, tu vois, on part plein gaz pendant une heure vers la bouée numéro 1. Puis on met les cannes de traîne à l'eau avec les rapalas de profondeurs le long de la faille. Et une plume à marlin, juste au cas où. Quand on arrive au site de jig, tu sais celui dont on a piqué le point à Zé Pescador, on jig jusqu'à ce que cela ne donne plus, puis on essaye de pêcher un coup à la dérive moteur éteint .... »
C’était le bon côté d’être dans l’équipe d’Edgar : il ne venait à l’idée de personne que nous puissions être un concurrent sérieux. Aussi les participants n’hésitaient pas à partager avec nous conseils, techniques de pêche, voire même nous prêter des leurres.
« Tiens, Edgar, voilà un teaser. Tu devrais essayer, ça se met deux mètres avant la plume. Le but est de faire du bruit pour attirer le poisson. Peut-être que tu attraperas un marlin ? Sûr, avec toi les poissons ont intérêt à bien se planquer, ah, ah, ah … »
Cela aurait pu être vexant, mais c’était bon enfant. Les maladresses d’Egard l’avaient rendu sympathique auprès de tous. Et puis, il est vrai que nous étions les moins expérimentés et les derniers inscrits. Que craindre d’une telle équipe ? Nous n’avions pas six équipiers, le meilleur équipement ou le dernier gadget à la mode, à peine deux cannes de traîne. Mais l’essentiel n’était-il pas de passer une belle journée en mer ? C’est bien comme cela que je l’entendais. Vivement Dimanche !
***
Nuit noire, je me réveillai au bruit d’un klaxon. Je m’habillais à la hâte. J’agrippais le casse croute que m’avais gentiment préparé Dona Gina la veille et je sautai dans la voiture. Edgar était mal en point et mal luné, inquiet peut-être ? Il avait failli ne pas venir du fait d’un mal de ventre carabiné. Et puis, il avait du récupérer je ne sais quel pièce ou outil tout à fait indispensable je ne sais plus où, avant d’arriver chez moi. Je me laissai balloté à moitié endormi jusqu’au Maritimo, en l’écoutant maugréer d’une oreille distraite.
Tous les bateaux étaient déjà à l’ancre à quelques mètres de la plage, pour certains depuis plus d’une heure. Le jour commençait à poindre doucement, aussi nous nous hâtâmes de mettre le bateau d’Edgar à l’eau avec l’aide de Miguel. Ce dernier se frottait les mains comme à chaque concours de pêche : c’était l’assurance de revenir chez lui les mains pleines de poisson le soir venu. Je pensais que le pauvre risquait bien d’être déçu par notre pêche tout du moins.
Le moment était venu pour nous d’embarquer : il faisait déjà presque jour. Le lever du soleil est toujours très rapide sous les tropiques. Certains bateaux tournaient déjà pour chauffer les moteurs. Les salutations et les encouragements fusaient de toute part. Edgar avait fini par démarrer ses moteurs mais, coquin de sort, l’un d’entre eux laissait entendre des ratés de manière répétée.
A cinq heures précises, un hurlement de sirène retentit. C’était le signal du départ. Les manettes des gaz poussées à fonds, tous les bateaux mirent cap vers la pointe de Xefina, pour contourner l’île et rejoindre le large au plus vite. Pour être précis, tous les bateaux sauf le notre qui marchait sur un moteur et demi. Rapidement, nous étions distancés. Avant même d’avoir atteint l’île, nous ne voyions déjà plus les autres compétiteurs. Aussi Edgar décida t’il de s’arrêter sur l’île de Xefina.
***
J’étais déçu bien entendu, même si je n’avais guère d’illusion sur nos chances. Mais j’aurais tant aimé participer au concours jusqu’au bout, profiter d’une belle journée en mer. Je décidai de laisser Edgar voir ce qu’il pouvait faire sur son moteur et commençai une petite promenade sur cette plage déserte, bien que si proche de la ville. Quel contraste entre les pêcheurs suréquipés du Maritimo ou du Naval et ceux du quartier des pêcheurs. Eux aussi commençaient leur journée avec leur coque à voile rapiécée pour les plus fortunés ou à rame pour nombre d’entre eux.
Après une heure de marche et de contemplation, je revenais sur mes pas pour rejoindre Edgar. Le capot du moteur ouvert, il avait son téléphone portable dans une main et une clé à molette dans l’autre. Il avait une discussion très animée avec son mécanicien sur la meilleure manière de procéder, mais cela ne semblait pas donner de grand résultat. Aussi au bout d’un moment, n’y tenant plus, décida-t-il de revenir au club.
« Je lui ai dit de venir le plus vite possible en prenant le Chapa. Je ne comprends rien à ce qu’il raconte, mais c’est un bon mécanicien. Tu verras, il va réparer tout ça en un tour de main ».
De retour au point de départ, j’allais prendre un café à la terrasse du club avec un de ces fameux « pastel de nata », sorte de mini tarte garni de crème pâtissière, pour me consoler. A vrai dire, j’étais très sceptique quant à nos chances de repartir. J’avais déjà fait le deuil de ma journée de mer.
Mais j’avais tort. Après deux heures de réglage par le super mécano, le moteur récalcitrant repartait de plus belle. Finalement ce n'était pas grand-chose. La tige de l'embase avait été mal remontée : elle ne s’enclenchait pas à l'embrayage, m’expliquait-on. Le problème était que maintenant Edgar ne voulait plus partir.
« Tu comprends, il est dix heures et demi. Les autres sont déjà partis depuis plus de cinq heures. Il vaut mieux abandonner ».
C’était mon tour de convaincre mon camarade. Peu importe, la journée venait de commencer. Le temps était parfait, la mer lisse comme un miroir, cela aurait été triste de laisser passer une occasion pareille. De toute façon, nous n’avions aucune intention de gagner, alors qui avait-il de changé ? Edgar se laissait à moitié convaincre : une fois les cannes à l’eau, il me laissa le volant entre les mains en m’indiquant vaguement un cap vers le large et il partit immédiatement se coucher à l’ombre de la petite cabine.
***
J’étais pour ma part le plus heureux des hommes, le regard sur l’horizon, les commandes bien en main, à traîner nos deux leurres au milieu de l’Océan indien. Pour celui qui connait la mer, il y a toujours quelques choses à voir. Peut être que la rareté fait ressortir les quelques objets qui accrochent le regard : le bateau d’un concurrent, deux oiseaux qui se reposent sur la mer d’huile, parfois une tortue qui vient respirer en surface, un morceau de bois flotté. Le but, m’avait on répété à maintes reprises, est de repérer les bancs d’oiseaux en train de pêcher. C’est le meilleur signe de la présence du poisson. Les heures passaient et rien ne se passait. Edgar continuait de paresser dans la cabine, quand « Rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr » la crécelle du moulinet s’emballa soudainement.
J’étais sur le pont aussi je m’emparais de la canne au moment où Edgar déboulait de la cabine. Tant pis pour lui, on ne peut pas pêcher et dormir tout à la fois. « Un voilier, c’est un espadon voilier », s’exclama Edgar. Je tâtonnais pour enlever le loquet de la crécelle et faire cesser le cliquetis strident du moulinet au fur et à mesure que l’animal vidait la bobine. Edgar me donna un coup de main pour mettre la ceinture de protection. J’avais déjà, là où pesait la canne sur mon ventre, des brûlures qui commençaient à devenir douloureuses, même si l’adrénaline servait d’anesthésiant.
Dressé hors de l’eau sur sa queue, tour à tour sur tribord puis sur bâbord, le voile de sa nageoire dorsale déployé, il était superbe. Après une lutte dont je serais bien incapable de dire la durée, nous réussîmes finalement à amener l’animal le long du bateau. Edgar s’équipa d’un gant, me donna l’autre et saisit le rostre de la bête épuisée.
« Attrape-le ! Je vais chercher le carton et l’appareil photo. Tu le tiens bien, hein, tu le laisses pas partir ! ».
Un peu intimidé, je saisissais fermement le rostre d’une main. Le poisson faisait bien ma taille. Ses couleurs allaient du gris argenté au bleu marine en passant par le brun, avec des zébrures. La voile quand on la déployait était magnifique. Edgar tendait d’une main le carton de la compétition avec la date du jour et de l’autre immortalisait l’instant avec un appareil photo. Pour la postérité, mais surtout pour le jury du concours ! Puis, une fois l’hameçon retiré et la bête reposée, nous lui rendîmes sa liberté. Elle s’éloigna lentement dans le bleu.
***
C’était l’euphorie à bord, nous commençâmes la danse de la victoire. Quelle chance incroyable ! Les copains allaient carrément être épatés par cet exploit, pensait Egdar, même si je penchais plus pour un extraordinaire coup du sort. A grandes tapes dans le dos, nous nous voyions déjà sur le podium et pourquoi pas sur la plus haute marche. Edgar savourait une petite revanche, ayant un peu souffert de la condescendance amicale des camarades du club sur ses prouesses de capitaine et de pêcheur.
Après avoir repris un peu nos esprits, je ne résistai pas à l’envie de voir les photos. Je lui demandai s’il pouvait me les montrer sur l’écran témoin. C’est alors qu’il commença alors à manipuler son appareil. De plus en plus fébrile, il appuyait sur tous les boutons les uns après les autres. Puis, il finit par s’énerver, disant qu’il venait de l’acheter et qu’il n’arrivait pas à afficher les photos. Il préconisait d’attendre le retour à terre, mais je m’y opposai fermement. Pas question de patienter des heures dans l’angoisse avant de savoir si oui ou non, il avait réussi à prendre un cliché de notre prouesse ! Je m’emparais de l’appareil. Ouf, elle était bien là, notre photo. Le soulagement fut tel que nous reprîmes une deuxième fois notre danse de la victoire et nos embrassades. Il était une heure de l’après midi.
***
Nous continuâmes à trainer nos leurres pendant encore une bonne heure, mais le cœur n’y était plus. Sur notre petit nuage, nous étions déjà en train d’imaginer notre retour triomphal au club. Et puis, n’y tenant plus, nous décidâmes de prendre le chemin du retour, car il restait bien deux bonnes heures de route avant l’arrivée. Et pas question de risquer l’élimination en arrivant après 17h00.
Les cannes rembobinées, vent arrière, nous voilà plein gaz surfant sur les vagues en direction de Maputo, tout sourire. L’île de Xefina se rapprochait à vue d’œil. Tout était si parfait. Trop parfait sans doute, le moteur récalcitrant choisit ce moment pour se rappeler à notre bon souvenir. Par quelques ratés pour commencer avant de finir par défaillir entièrement … Avec angoisse, nous réussîmes sur un moteur à parcourir les derniers miles et éviter ainsi la disqualification. Mais c’était moins une, et plus d’une fois mon cœur vacilla entre espoir et désespoir. Enfin, nous y étions.
« Attends un peu, je vais envoyer un pavillon. Tu sais la tradition veut que tu envoies autant de pavillons que de poissons à rostre pêchés. » s’exclama Edgar.
J’observais avec un peu de dépit qu’un autre bateau arborait justement deux pavillons. Dommage, nous ne serions que deuxième. Mais, c’était un beau résultat et pour le moins inespéré. Déjà, plusieurs bateaux venaient vers nous, le début de la gloire, pensions-nous.
« Alors Edgar, c’est quoi ton problème ? »
« Je n’ai aucun problème au contraire, pourquoi tu me demandes ça ? »
« Ben, tu viens d’envoyer le pavillon «demande assistance immédiate» !»
Et oui, les incorrigibles pieds nickelés que nous étions venaient d’envoyer le pavillon d’urgence. Nous corrigeâmes immédiatement notre erreur, mais il faut bien admettre que nous avions un peu raté notre effet. Enfin, oui et non, car à peine le bateau arrivé sur la rampe de mise à l’eau, plusieurs personnes m’abordaient. Toutes cherchaient à obtenir confirmation si la rumeur peu crédible selon laquelle nous aurions pêché un voilier était ou non un canular.
***
Le moment tant attendu de la remise des prix finit par arriver. Les camarades défilaient sur le podium par ordre de classement croissant. Edgar distribuait les salutations à toute la salle le sourire triomphant. Arrive enfin le tour du second, je m’apprêtais à me lever mais à ma grande surprise un autre bateau est appelé.
« Mais Edgar, on n’est pas deuxième ? On n’a même pas un prix ? »
« Ne sois pas si pressé, reste assis cinq minutes. »
Et oui, nous étions premiers. Edgar, pour préserver la surprise, s’était bien gardé de dissiper ma méprise. Les deux pavillons du bateau concurrent étaient ceux du sponsor de la compétition du jour. Nous étions bien les seuls à avoir attrapé un poisson à rostre aujourd’hui. Aussi, le jury nous avait crédités du forfait de 1000 points. L’animal ayant été relâché, il ne pouvait être pesé. Les grands vainqueurs, c’était nous ! Le premier prix aussi était inespéré : quatre magnifiques cannes : trois cannes de traine, dont une avec un moulinet de double capacité, plus une canne de Jig. Edgar rayonnait. C’est le moment que choisit Zé pour m’aborder.
« Bravo pour ta victoire, c’est mérité. La pêche, c’est beaucoup de savoir faire à coup sûr. Mais il reste toujours une part de chance, on a tendance à l’oublier. Et visiblement, tu n’en manques pas. Tu devrais venir pêcher avec nous, ce sera l’occasion d’essayer ton nouveau matériel. »
Voilà une journée que je n’étais pas prêt d’oublier. Il me suffit d’y repenser pour que le sourire me vienne aux lèvres. Tant d’émotions contradictoires, de revirement du destin depuis l’aube pour arriver à l’apothéose de cette fin de journée. Et pour finir la véritable récompense : une invitation à rejoindre la petite communauté des intimes de la baie de Maputo par Zé Pescador lui-même.
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- Écrit par : Martine Malegue
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Ce dernier samedi de juillet, j'étais pour la première fois en binôme avec Manuel, à la première rotation.
Embarqué sur notre "Morse", avec comme pilote Geneviève et une majorité de plongeuses, nous partons vers les "Moyades".
Après s'être amarré à la bouée d'ancrage la plus proche de l’îlot, me voici parti avec Manuel, pour 50 minutes de plongée et une profondeur maximale de 30 mètres,
Nous avons croisé une faune diverse et en quantité ; Mérous, Murènes, Sars, Denti, Chapons, Girelles et tout le reste.
La pour la deuxième rotation, il y avait aussi deux baptêmes, celui de "Pablo" un jeune de 8 ans effectué par notre plus ancien moniteur Henri, le second "Lucas" fait par Luc notre fournisseur en miel .
De retour ils ont reçus leur diplôme voir les photos.
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![Paris](/images/stories/CoinDesAdherents/Martine/Parisiens/Paris.jpg)
![Paris1](/images/stories/CoinDesAdherents/Martine/Parisiens/Paris1.jpg)
![Paris2](/images/stories/CoinDesAdherents/Martine/Parisiens/Paris2.jpg)
![Paris3](/images/stories/CoinDesAdherents/Martine/Parisiens/Paris3.jpg)
![Paris4](/images/stories/CoinDesAdherents/Martine/Parisiens/Paris4.jpg)
![Paris5](/images/stories/CoinDesAdherents/Martine/Parisiens/Paris5.jpg)
Emmanuelle, Jeanne, Marielle, Cyrille, Franck, Laurent et Patrick
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- Écrit par : Martine Malegue
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Ce premier samedi de juillet, j'ai fait une plongée dans notre calanque, qui est toujours envahie par cette algue au nom de "Ruguloperyx Okamurae".
Nous étions quatre morses à l'eau : François et Gisèle, Mikael et moi.
Depuis ma dernière plongée sur ces lieux datant du 26 juin, date de l'opération calanques propres, cette algue a proliféré, elle a même envahie l'ancre du bout du monde.
Après 50 minutes dans une eau trouble et une température de 15° une profondeur maxi de 20 mètres, nous voici de retour à notre base.
Après avoir dégusté les moules farcies cuites au four à pizza du restaurant la Grotte, nous avons bu la clairette de Die que j'avais amené pour fêter mes 78 ans du 29 juin 1943 avec les morses de la deuxième rotation.
Les morses, m'ont fêté cet anniversaire avec toute leur amitié et leur gentillesse, merci mes amis vous êtes tous dans mon cœur.
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- Écrit par : Jean-Claude Eugene
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Le club Maritimo et Xefina
Membre de la section voile du club Maritimo, j’avais racheté, peu après mon arrivée, un de ces vieux Hobie cats qui trainaient sur l’esplanade en ciment, entreposés sur des remorques toutes rouillées. Il avait dû connaître un certain nombre de propriétaires au gré d’affectations successives. C’était un régal de le mettre à l’eau le dimanche, avec la glacière du piquenique bien arrimée sur le trampoline, pour remonter vers le nord le delta de l’Incomati, en direction de la petite île de Xefina.
Souvent les amis, Lluis, Esteban et le reste de la bande, nous rejoignaient sur l’île, soit en affrétant une barque depuis le quartier des pêcheurs au bout de la marginale, soit en bateau à moteur. Le contraste entre la proximité de la ville avec ses immeubles qui se découpaient en ombre chinoise au coucher du soleil et l’île quasi déserte était saisissant. Il était possible de faire le tour à pied de Xefina en un peu plus d’une heure. Quel plaisir d’observer les colonies de flamands roses que l’on aimait effrayer pour le plaisir de les voir s’envoler. Ou de grimper sur les antiques blockhaus, dont les fondations commençaient à flancher, pour chevaucher les immenses canons pointant sur le chenal d’entré du port de Maputo.
La navigation dans le delta de l’Incomati n’était pas toujours aisée. Il fallait souvent tirer de nombreux bords entre les bancs de sable et les îles. En fait, nous parlions souvent de Xefina, mais il y avait trois îles : la grande, la petite et celle du milieu. Les deux dernières cachées derrière la grande, la seule visible depuis Maputo, étaient encore moins fréquentées. Ces îles changeaient de forme et se déplaçaient au fil du temps, au gré des vents et des courants. La couleur brune de l’eau ne facilitait guère la lecture du plan d’eau, mais tout échouage était sans danger : ce n’était que du sable.
D’ailleurs nous croisions souvent des femmes et des jeunes filles de Xefina la petite, avec de l’eau jusqu’à la taille, sondant avec leurs pieds le fonds de la rivière à la recherche de palourdes. Il y avait en effet une petite communauté de pêcheur qui vivait sur cette île. Je me rappelle même lors d’une visite d’exploration avoir vu sur la plage du village une énorme tortue verte, conservée vivante sur le dos, entre plusieurs piles de palourde. L’idée me traversa l’esprit de la racheter pour la libérer et je regrette toujours aujourd’hui de ne pas l’avoir suivie.
Parfois, nous remontions la rivière Incomati en poussant jusqu’à la pointe de Macanete, le royaume des jumeaux et de leur mère, Dona Cristina. Ils y avaient établi un campement de quelques bungalows rudimentaires entre la mer d’un côté et le fleuve de l’autre. On pouvait choisir côté Océan les vagues et le vent ou se baigner à marée basse dans les piscines naturelles de la langue de sable découverte. Ou alors préférer le calme de l’eau douce côté rivière, à l’abri des thermiques de l’après midi en se dorant au soleil, assis sur quelques os de baleine qui marquaient l’entrée du camp. C’était le bon côté, l’endroit idyllique pour profiter du coucher du soleil, en surveillant le Hobbie cat à l’ancre.
Dona Cristina préparait les meilleurs crabes de mangroves et les plus délicieuses platées de palourdes de la baie. Elles avaient su tisser des liens avec les pêcheurs aux alentours pour s’assurer des produits pêchés et préparés dans l’instant. La dégustation de fruits de mer, le samedi ou le dimanche, à l’ombre d’un bungalow simplement décoré pouvait se prolonger tard dans l’après midi. Surtout si elle s’accompagnait d’une conversation sur la marche du monde nourrie par d’autres aventuriers familiers de ce lieu, paradisiaque de par sa localisation et sa décontraction.
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Une autre fois, sur Xefina du milieu, réveillé au milieu de la sieste par un chant à plusieurs voix, je m’extirpais de l’ombre du trampoline du catamaran tiré sur le sable. Des pêcheurs étaient en train d’établir une senne près du rivage avec leur barque à rame. Par jeu j’allais les aider à tirer le filet sur la plage. Et là, petit miracle de la pêche, le filet péniblement remonté accouchait d’une montagne de crevettes frétillantes, sautant sur le sable. Ni une, ni deux, je vidais la glacière du piquenique pour la remplir à ras bord de crustacés. En fin d’après midi, nous en ferions une papillote géante avec quelques gouttes de pastis. Cuites sur une grille à l’aide de quelques braises tirées du feu, on les décortiquerait une à une pendant des heures en buvant des bières tièdes.
Le retour vent arrière au surf sur les vagues était toujours un régal, une dernière poussée d’adrénaline. Ce dernier bord, pendu au rappel tout en tenant le stick du safran avec deux doigts, marquait la fin du week-end. A l’arrivée, les marins du club nous attendaient avec impatience pour nous aider à remonter et dessaler le petit catamaran. C’était aussi pour eux le signal de la fin de la journée.
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Le club Maritimo était un de nos endroits favoris pour aller déguster le soir après le travail un plat de palourdes. Cuisinées avec un verre de vin blanc, une gousse d’ail et un peu de coriandre ciselée, c’était un délice, surtout accompagné d’une Laurentina preta, une bière brune dont le nom faisait référence à Lourenço Marques.
J’y retrouvais souvent mes amis au bar du club. Il y avait aussi des habitués de l’endroit, comme le professeur Cistac, spécialiste en droit constitutionnel, appelé en renfort pour rédiger la nouvelle constitution de cet état naissant. Il avait fière allure avec ses moustaches en guidon de vélo et son accent gascon. Ou encore l’inspecteur bijou, avec son look de gitan, des cheveux gris jusqu’à l’épaule et de grosses bagues en or à chaque doigts. Joueur invétéré, il nous expliquait comment il était parti l’avant veille pour deux semaines de vacances en Afrique du sud. Et pourquoi il avait du revenir après avoir perdu tout son argent au casino de la ville de Namaacha, avant même d’avoir traversé la frontière. Parfois un des corses, conseiller de l’Ambassade venait fumer un cigare. Lui avait commencé sa carrière comme professeur d’anglais dans un lycée d’Ajaccio. Mais il prenait plaisir, dans les réunions entre chancelleries où l’anglais était de rigueur, à imposer son français avec un accent corse très marqué, au titre de la défense de la langue. Ou peut être avait-il honte de son niveau d’anglais ?
Ils étaient plus âgés que nous et avaient du vécu. Leurs histoires concernant ce pays dans lequel nous venions d’arriver nous fascinaient. Comme il n’existait à l’époque aucun guide touristique, il fallait bien apprendre les astuces du quotidien. Pourquoi avaient-ils donc atterri ici ? Ce devait être sans doute une histoire similaire à la mienne, une administration qui sélectionnait les plus marginaux pour ces destinations dites « à risques ».
Une conversation sur la meilleure manière de s’approvisionner en viande dans cette capitale qui sortait de la guerre et où les filières d’approvisionnement restaient artisanales me revient en mémoire. Le professeur vantait les mérites d’un service d’avionnette sud africain, qui sur simple coup de fil pouvait délivrer une glacière remplies de côtes de bœufs, entrecôtes et autres spécialités sud-africaines comme le biltong (lanière de viande séchée) et autres boerewors (saucisses) …
L’inspecteur lui racontait avoir pris des parts dans une boucherie local qui importait tous les bas morceaux dont le voisins sud africains ne voulaient pas : les pieds, les abas, les os ... Un grand BBQ dans l’arrière cour permettait de griller le morceau acheté pour le déguster, attablé sur un mobilier bricolé.
Et le corse vantait l’esprit d’entreprise du frère de son employée de maison. Une fois par semaine, il allait acheter avec une voiture hors d’âge des têtes de bœuf (que les Sud-africains refusaient de manger) pour alimenter son bar de quartier. Les militaires adoraient y siroter des bières, tout en dégustant une tête. Elles étaient cuites à l’eau bouillante avec du gros sel, puis mises dans de grands sacs sur lesquels on faisait rouler un camion pour les réduire en morceaux. Mais la pièce de choix, celle pour laquelle la clientèle venaient et payaient le prix fort, c’était la cervelle bouillie passée au mixer avec des oignons frits et servie dans un bol. Cette histoire avait marqué mon esprit. Je me suis toujours demandé ce qu’il fallait dire au douanier pour passer la frontière avec une cinquantaine de têtes de bœuf sanguinolentes sur la banquette arrière de sa voiture.
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La tombée de la nuit était aussi le moment où les inconditionnels de la mer revenaient de leur sortie, ceux qui dès que le temps le permettait, mettaient leur bateau à l’eau. Ils arrivaient toujours à l’ultime minute du temps réglementaire. 17h00 en hiver et 18h00 en été, ce qui laissait à peine moins d’une heure de jour comme marge de sécurité, avant le coucher du soleil qui tombe d’un coup sous les tropiques. On les guettait à l’horizon, par delà la pointe de l’île de Xefina et l’arbre de Noël, la bouée qui délimitait le chenal d’entrée du grand port de Maputo.
Les marins du Club, dans leur costume bleu suranné, s’empressaient de démarrer l’antique tracteur à moitié rouillé par les embruns, qui tressaillait alors dans une épaisse fumée noire. Ils se précipitaient ensuite sur la rampe en poussant la remorque du bateau qui arrivait. Le spectacle pouvait être divertissant si la marée et le vent s’étaient donnés le mot pour lever un peu de mer. Mais les marins comme nous les appelions, bien qu’ils n’aient probablement jamais mis le pied sur un bateau, se sortaient toujours avec dextérité de l’exercice. Ils se jetaient à l’eau pour accrocher la proue et guider le bateau vers la remorque pendant que l’un d’entre eux actionnait la manivelle du treuil à toute vitesse. Le tracteur tirait le tout vers les précieux hangars, que les heureux locataires n’auraient abandonnés pour rien au monde. En un tour de main, le bateau était vidé de tout équipement de pêche, de plongée ou de chasse sous-marine pour être rincé à grande eau. Et, clou du spectacle, de la pêche du jour.
Les premières fois que j’assistais à cette scène, je n’en croyais pas mes yeux. Parfois de toute petite barcasse vieillissante, équipée de moteur deux temps fumant l’huile brûlée, les marins sortaient des dizaines de poissons. Les plus gros faisait parfois ma taille ou plus, les plus petits auraient largement permis à trois personnes de se rassasier convenablement. Pour moi dont l’expérience se limitait à quelques bogues pêchés à la palangrotte en Méditerranée, c’était incroyable, presque miraculeux !
J’ignorais bien sûr presque tous les noms en français et encore plus en portugais. A peine si je reconnaissais des barracudas démesurés, de la taille d’un homme, dotés de tête énorme avec une mâchoire laissant apparaître des rangées de dents inquiétantes. Et les thons qui ressemblaient à des ballons de rugby hypertrophiés affublés d’une nageoire jaune, «atun yellow fin, maningue nice ! », comme les appelaient les spectateurs avertis, mélangeant l’anglais à un portugais africanisé. Bien évidemment, une personne seule n’aurait pu manger toute la pêche d’une journée. Aussi le fruit de la chasse sous-marine ou de la journée de traîne finissait sur les étals des marchandes du marché au poisson voisin du club. La vente du poisson permettait de payer l’essence et offraient aux commerçantes du marché voisin une matière première à négocier.
***
C’est à cette occasion que je vis pour la première fois Zé Pescador. Il avait le box voisin de l’emplacement où je parquais mon Hobie Cat. Son bateau était un semi-rigide de type zodiac, rouge écarlate et jaune vif, qui partageait avec son propriétaire le nom de Pescador. Nous nous partagions les services du même marin, un colosse du nom de Miguel.
Mais tous les marins donnaient un coup de main pour vider le bateau de Zé des multiples cannes de traîne, de fonds ou de jig, des mallettes de leurres de toutes formes et couleurs, des fusils sous-marins équipés de moulinet et de bouées de cuir, des combinaisons de néoprène qui avaient visiblement connues des jours meilleurs, des bouteilles de plongées hors d’âge à la peinture écaillée, des glacières où surnageaient dans la glace fondue des restes d’appâts congelés et bouteilles vides de boissons gazeuses.
Il faut dire que Zé était généreux avec sa pêche et qu’il ramenait toujours beaucoup de poissons. Aussi les marins faisaient pleuvoir un déluge d’eau douce sur remorque, bateau et équipements dans un va-et-vient frénétique du tuyau de plastique, provoquant une marre qui grandissait à vue d’œil. Le tout dans l’espoir de récupérer l’une des nombreuses prises qui s’alignaient par ordre de taille à même le sol, ce qui arrivait immanquablement.
J’étais très impressionné et intrigué tout à la fois. Qui était donc ce Zé Pescador à qui tout le monde souriait et venait serrer la main au retour de pêche ? Il avait à peu près mon âge. Mais comment faisait-il pour sortir en pleine semaine aussi souvent que le temps le permettait ? Ne travaillait-il pas ? Pourquoi avait-il un matériel aussi varié ? D’habitude, les gens sont soit plongeur, soit pêcheur à la ligne, soit chasseur sous-marin. Mais visiblement ce Zé semblait pratiquer toutes ces activités à la fois, et au cours d’une même journée qui plus est.
***
Je décidais de mener ma petite enquête en commençant par interroger Miguel qui semblait bien le connaître Zé, tout du moins pour ce qui concerne ses aventures maritimes.
« Tu sais pourquoi on l’appelle Pescador ? Ici tout le monde pêche. Et puis, ce n’est pas un professionnel non plus. »
« Oh Zé, il pêche depuis toujours. A dix ans, il passait déjà ses journées avec une canne à pêcher du bord. A l’époque, on pouvait attraper du gros depuis la Marginale : des carangues, des barracudas et même des requins. Une fois il en a attrapé un, de requin. La bête était plus grosse que lui. Il a eu un article dans le journal avec sa photo. Le journaliste avait titré Zé Pescador, ça lui est resté. »
Ce n’était effectivement pas banal. Miguel, toujours tout sourire, aimait bien bavardé. Et là il tenait un bon sujet. Alors je le laissé parler. Pendant la guerre civile, sous le régime communiste, la nourriture était rare et soumise à quota. Pour celui qui n’avait pas d’accès à des devises, il était compliqué de se procurer du beurre, du lait ou des œufs par exemple. Zé grâce à sa pêche faisait du troc. Si les gens avaient besoin d’un poisson, on leur conseillait de voir avec Zé Pescador. Au début, il n’avait que sa canne à pêche. Puis il s’était procuré un fusil sous-marin. Et un premier petit zodiac à fond plat de quelques mètres avec un moteur de 25 CV. Et la chasse sous-marine au large, c’est vraiment plus facile que de pêcher du bord.
Miguel se souvenait d’une fois où il avait ramené une loche géante. Il mimait et expliquait à grand geste un poisson énorme, dont deux hommes auraient tout juste réussi à faire le tour du ventre en se joignant les mains. « Uma garoupa gigante ! » disait il avec des trémolos dans la voix. Deux cent kilos ou plus, il avait du se mettre à cinq pour la porter à l’arrière d’un pick-up. L’animal était si gros que l’on ne pouvait plus s’asseoir dans la benne. Dommage que maintenant la chasse de ces géants soit interdite par le Gouvernement, car cela faisait vraiment beaucoup de viande pour tout le monde. Je pensais que ce n’était pas plus mal, même si je me gardais de l’interrompre.
Miguel me conseillait d’aller visiter la collection de coquillages du Musée d’Histoire Naturelle. Je connaissais déjà le bâtiment que l’on ne pouvait manquer de remarquer avec son style manuélin, mélange de gothique et de mauresque. Et je me souvenais de la collection de fœtus d’éléphants à tous les stades de développement.
« C’est Zé qui est le responsable de la collection de coquillage. Les coquillages, c’est sa grande passion. »
C’était aussi grâce à Zé, me disait Miguel, que le club Maritimo avait plusieurs fois remporté le concours de pêche annuel. Voyant mon intérêt, il se fit un devoir de m’expliquer les règles de ce concours. Je ne suis toujours pas certain d’avoir bien compris mais voilà ce qu’il me disait.
« Le concours de pêche, cela se joue sur une année, à raison d’un dimanche par mois environ. Il y a entre dix et vingt bateaux, avec leur équipage respectif, qui s’affrontent. Mais c’est surtout une lutte entre le Maritimo et le club Naval, son frère-ennemi ! Le départ est à cinq heure du matin, et les concurrents ont jusqu’à cinq heure du soir pour ramener un maximum de prises. A la sortie, chaque poisson est pesé par un Jury et chaque kilo donne droit à un certain nombre de point en fonction de l’espèce. »
Tout cela me paraissait bien compliqué. D’autant plus que Miguel me parlait de poids minimum pour chaque espèce, de pénalités et de bonus suivant la variété de la pêche, de la possibilité de relâcher les poissons après avoir pris une photo et de toucher ainsi un forfait. Je retenais deux choses : celui qui pêchait un poisson à rostre était pratiquement sûr de gagner, en tout cas de monter sur le podium. Et qu’il y avait un concours dans quinze jours.
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- Écrit par : Martine Malegue
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