Le coin des Morses
L’arche immergée (Requins taureaux)
Parmi l’élite des chasseurs sous-marins de l’époque, il y avait bien sûr Zé du Club Maritimo. Mais il partageait cette gloire avec Dinho et surtout Nuno du Club Naval, l’éternel rival. Emulation et compétition n’empêchaient heureusement pas l’amitié et la complicité. Qui mieux qu’un chasseur émérite pourrait comprendre un autre chasseur ?
Dinho était noir comme l’ébène, massif avec un sourire éclatant. Nuno était d’ascendance portugaise, les yeux bleus, le crane rasé peut être pour une meilleure hydro-dynamique, la silhouette élancée sans un gramme de graisse superflue. Les deux compères souvent accompagné de João aimaient passer leur journée en mer, à chasser. Je n’ai pas le souvenir de les avoir jamais vus sortir pour pêcher ou plonger en bouteille. Les deux étaient d’excellents chasseurs.
J’observais avec soin leur équipement : des fusils à air comprimé ou à élastiques, munis de moulinet. Les flèches étaient reliées par un long bout de quelques millimètres de diamètre enroulé sur un moulinet accroché à même le fusil. Les poissons pouvaient être si gros que c’était nécessaire. Nos amis pouvaient flécher des proies dépassant largement les cent kilos : thon à dent de chien, wahoo, espadon, marlin …. Impossible d’agripper le fusil même à deux mains les poumons remplis d’air au maximum, pour retenir une bête harponnée sondant à grande vitesse. Il fallait la laisser filer avec la flèche. Et au besoin, dans les cas extrême si cela ne suffisait pas, ils étaient contraints d’attacher le tout à la bouée de surface. De retour au bateau, il la suivait jusqu’à épuisement de la proie.
Pour attirer le poisson, ils utilisaient des toutes sortes de leurres constitués de miroir et autre morceau de CD qu’ils avaient patiemment assemblés. Les flashes étaient censés attirer la curiosité des poissons pour les faire remonter des grands fonds.
Comme Zé, ils partaient en mer dès que le temps le permettait, de l’aube jusqu’au coucher du soleil. Patiemment, ils écumaient tous les coins et recoins de la baie de Maputo, tous les récifs des alentours, à la recherche de nouveaux spots. Naturellement, ils avaient finis par en découvrir. Et vu leur chasse exceptionnelle, il ne faisait aucun doute que ces endroits méritaient le détour. Personnellement, je n’étais pas chasseur. Mais en les entendant raconter à Zé leurs dernières découvertes, je n’avais qu’une envie : mettre la tête sous l’eau pour aller contempler à loisir ces endroits magiques.
Naturellement, chacun gardait secret ses coins les plus précieux. Je n’avais aucune chance d’obtenir ces informations, qui resteraient cachées le plus longtemps possible. Nuno et Dinho évoquaient fréquemment sur un tombant au large de l’île d’Inhaca une arche monumentale, O Arco.
« Ne t’inquiètes pas. » me disait Zé « On va bien finir par les avoir ces amers. Je sais déjà plus ou moins dans quelle zone elle se trouve, cette arche ».
Je ne sais par quelle tractation mystérieuse il comptait arriver à ses fins. Mais ce qui est certain, c’est qu’il finit par y arriver.
« Je te l’avais bien dit : Nuno a fini par me le donner, ce point. Si cela te tente, on peut essayer d’aller voir ce week-end si on arrive à le localiser. »
Et comment ! Je n’allais pas me le laisser dire deux fois ! Une invitation de Zé lui-même pour découvrir un nouveau site. Quelle chance : encore un weekend à marquer d’une pierre blanche.
***
Le seul petit tracas, c’était qu’il y avait, comme souvent le vendredi soir, une grande fête. Et toute la bande des copains copines avait prévu d’enchainer en louant le catamaran de captain Rob pour une sortie à Inhaca.
Captain Rob était un Sud-africain originaire d’Europe de l’Est, qui avait trouvé refuge à l’école nautique de Maputo. Il habitait sur son catamaran, qui comptait quatre cabines et pouvait loger toute notre bande de camarades. Nous aimions l’affréter le temps d’un weekend C’était le meilleur moyen d’allier les plaisirs de la plage à ceux de la nuit. Et ma fois, comme tous les jeunes gens, nous adorions les nuits à Maputo.
Il faut dire qu’au sortir de la guerre, nous étions les rois de la ville malgré notre jeunesse. Nous avions des voitures, luxe incroyable à cette époque pour notre classe d’âge. Et nous disposions de quelques devises, mais qui dans le Maputo des années 90 représentait des sommes incroyables. Pour une somme qui à Paris nous aurait péniblement permis de nous offrir une unique entrée en boite avec un simple cuba libre, nous pouvions faire en une nuit la tournée de tous les dancings de la capitale et multiplier les invitations à boire un verre à toutes les personnes que nous rencontrions. Nous connaissions tous les endroits à la mode, même les plus reculés de la ville de canisse, dont les entrées étaient encore gardées par des vigiles armés de kalachnikovs, vestiges de la guerre civile. Et les nuits sous les étoiles à danser des zouks endiablés au son des derniers tubes du moment avec les plus belles filles de Maputo nous faisaient tourner la tête aussi sûrement que l’alcool.
Difficile dans ces conditions le lendemain d’enchaîner une sortie à la plage, cela aurait demandé une volonté qui faisait défaut à nos crânes endoloris. Aussi l’option du catamaran de Rob relevait de la magie. Les premières lueurs de l’aube signalaient la fin de notre tournée des boîtes, de la marcha comme disaient nos amis espagnols. Nous prenions alors le chemin de l’école nautique pour sombrer dans nos cabines dans un sommeil agité certes, mais que nos jeunes années permettaient encore de qualifier de réparateur. Et vers midi ou plus tard même pour certain, il suffisait de monter sur le pont pour apprécier dans toute sa splendeur le miracle de l’hyperespace. Quelques heures dans les bras de Morphée avaient suffit pour nous transporter au milieu d’un petit paradis d’eau turquoise et de sable blanc : l’île des portugais qui jouxtait celle d’Inhaca. Un plongeon dans l’eau fraîche et transparente achevait comme par enchantement de nous remettre les idées en place.
A peine remonté dans le cockpit, le café noir du matin avalé, je me souvenais avoir donné rendez-vous à Zé et Ricardo pour une journée d’exploration et de découverte de nouveaux sites. Cette perspective achevait de me réveiller pour de bon. Le sac de plongée sur le pont, j’étais prêt, scrutant l’horizon à la recherche du Pescador. Et le voilà, minuscule point noir sur l’horizon, qui prenait ses couleurs rouge et jaune au fur et à mesure de l’approche. A peine était-il bord à bord avec le catamaran de Rob que je sautais pour embarquer et saluer Zé et Ricardo.
Nous fîmes le tour par l’Ouest, longeant les longues plages et fleuretant avec les déferlantes qui s’écrasaient dans un bouillon d’écume blanche sur l’île des Portugais. Le soleil de midi et les quelques mètres nous séparant d’un fond de sable donnaient à l’eau une couleur émeraude. Nous fûmes comme souvent à cet endroit bientôt cernés par une escorte de dauphin qui semblait nous indiquer le chemin du large. Ils nous précédèrent ainsi de longue minute. Allongé sur le boudin avant, j’aurais presque pu les toucher en étendant le bras. Parfois, ils se mettaient à nager sur le côté pour mieux me regarder d’un œil unique. C’était très intrigant. Je m’interrogeais sur leur pensée, et imaginait que, peut être, pensait-il la même chose au même instant ?
Une fois le phare d’Inhaca laissé sur tribord, la profondeur augmenta, la couleur de l’eau changea de l’émeraude à un bleu profond. Nos amis dauphins finirent par se lasser de nous. Nous poursuivîmes notre route vers le site de l’arche indiqué par Nuno, les yeux rivés tout à la fois sur les précieux amers et le profondimètre.
« C’est là ! », s’exclama Zé tout en pointant l’écran. « Regarde, 25 mètres, 24, 23, 24, 25 et là 35 mètre d’un coup et de nouveau 24 mètres, lance la bouée, vas-y ! »
Et je lançais par-dessus bord une petite gueuse de plomb. Attachée à un filin enroulé sur un dévidoir de fabrication maison qui flottait en surface et tournait à grande vitesse, la gueuse finit par se poser sur le sol. Il suffisait de poser un gros élastique pour stopper le déroulement du câble et nous avions notre site de plongée bien balisé.
Cette fois-ci, à mon grand soulagement, Zé m’accompagnerait pendant que Ricardo nous surveillerait depuis la surface. On se sent indubitablement plus fort à deux. Et avec Zé qui plus est, je n’avais cette fois aucune appréhension. D’autant plus que dès les premiers mètres, nous nous rendîmes compte que les conditions étaient exceptionnelles. L’eau était si limpide que la visibilité devait approcher les cinquante mètres. Le sentiment de se déplacer en total apesanteur dans les trois dimensions était enivrant. Nous avions l’impression de voler comme cela arrive parfois dans les rêves.
Après une profonde expiration, nous nous mîmes à descendre de plus en plus vite. Et là devant nous se dessina une arche monumentale. Du sol en sable blanc jusqu’au sommet de la voute, il y avait plus de dix mètres. Sa longueur devait avoisiner les quinze mètres. Je ne sais pourquoi mais l’idée que deux bus impériaux auraient aisément pu se glisser dessous me traversa l’esprit.
Nous fûmes accueillis par un banc de carangues gros yeux de plusieurs milliers d’individus. Elles tournaient autour de nous, nous donnant l’impression d’être le jouet d’une tornade, puis elles finirent par se lasser. Alors nous pénétrâmes sous l’arche elle-même dans cette anfractuosité du récif tapissée de sable. L’endroit était habité par plusieurs mérous patates qui nous regardaient de manière placide. Trois carangues grosse tête de taille impressionnante vinrent nous observer dégageant une impression de puissance et de vitesse. Nous poursuivîmes notre descente jusqu’au sol à l’aplomb de l’arche, à moins trente cinq mètres tout de même. Et là deux requins nageaient contre le courant, pratiquement immobiles. Ils devaient approcher les trois mètres.
Comme ils étaient statiques, je m’approchais tout en me cachant. L’idée était de rester tapi contre le récif, de laisser dépasser juste les yeux et de contenir sa respiration le plus longtemps possible. Stratégie qui me permit d’examiner à loisir leur museau pointu, leur gueule légèrement ouverte qui laissait dépasser plusieurs rangées de dents effilées …
Malheureusement, Zé me faisait déjà signe qu’il était temps de remonter. Absorbé dans mon observation, j’avais oublié l’ordinateur qui décomptait déjà plusieurs minutes de palier. Ah quelle frustration ! Mais en même temps, ces minutes dispensées au compte goutte contribuaient indéniablement à faire durer le plaisir. Elles permettaient d’entretenir l’envie de plonger encore et encore, telle une drogue.
A peine arrivé en surface et remonté sur le Pescador, les mots se bousculaient et les questions fusaient, à la fois pour rompre un silence contraint qui n’avait que trop duré et aussi pour partager notre plaisir avec Ricardo resté en surface.
« Ouahhh ! Quel monument, tu aurais vu cette arche, Ricardo ! Et ces requins, tu les as vu Zé ? Ils ont vraiment une sale gueule, avec toutes ces dents pointues qui dépassent ! »
« C’était des requins taureaux », précisa Zé. « Les Sudafs disent Ragged tooth. C’est vrai que leurs dents leur donnent un air féroce, mais ils sont inoffensifs. On les voit seulement à certaine période de l’année, le moins que l’on puisse dire est que tu as une bonne étoile ! ».
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- Écrit par : Martine Malegue
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Pour ce premier samedi de TIV effectué par quelques Morses, Jean Pierre B, Marc, Henri, François, Laurent, Jean Luc, JPP, Sandrine, Martine et votre reporter en ma présence.
Important à savoir que pour les blocs qui doivent allés en ré-épreuve, il ne leur reste plus que deux samedis, dés que tous les blocs du club aurons passés inspection visuelle, François chargera les blocs pour les mener à ré-épreuve.
Pour le midi j'ai préparé les pâtes à la "bolognaise", Sandrine nous avait fait une tarte et préparé l'ordoeuvre, Martine nous a fait les cafés, le repas fini les TIV ont continués.
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- Écrit par : Jean-Claude Eugene
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- Écrit par : Martine Malegue
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Les épaves du chenal (Loches géantes)
La veille de toute sortie plongée, Zé avait pour habitude de se rendre au Club pour préparer le bateau et gonfler les bouteilles. C’était une opération fastidieuse et bruyante, car son compresseur thermique n’était pas des plus performants et avait déjà quelques heures au compteur. Mais c’était l’occasion de bavarder, d’échanger des histoires de mer, de rêver et planifier de nouvelles aventures tout en gardant une oreille distraite à l’écoute du moteur pétaradant et de la soupape de surpression.
« Cela te dirait d’aller rendre visite un jour aux mérous géants du chenal ? »
« Tu veux dire les mérous patates, les gris avec des gros ronds noirs comme ceux de la pointe Techobanine ? »
« Non, non, ceux là sont cinq fois plus gros minimum. Ils peuvent peser plus de 250 kilos. Les Sud-africains les appellent brindle bass ».
Alors finalement Miguel le marin aurait dit vrai ? Ces histoires de loches géantes qui remplissaient l’arrière du pick-up et qui m’avaient fait sourire ne seraient pas une exagération de la réalité ?
« Le mieux serait d’y aller Mercredi prochain. Tu sais, l’eau est vraiment trouble dans le chenal. Il faut vraiment choisir le bon jour si on veut avoir une chance de voir quelque chose. »
Je compris qu’il s’agissait du chenal d’accès au port de Maputo. Une route maritime étroite, traversant la baie et qui avait vu plus d’un naufrage.
« Le chenal, c’est presque la sortie du fleuve Umbeluzi. Mais cela fait plusieurs jours qu’il n’y a ni vent, ni pluie et les prévisions sont bonnes. Et puis c’est la semaine de mer morte : les amplitudes de marée sont super faibles. On a une chance de voir un peu plus loin que sa main, peut être même aura-t-on jusqu’à huit à dix mètres de visi avec un peu de chance ? »
Bien sûr, j’acquiesçais sans hésitation. Un mérou gros comme une vache, s’il existait vraiment, cela valait certainement la peine d’être vu ! Le soir même, je consultais avec avidité ma nouvelle bible : « A guide to common sea fishes of southern africa ». Et effectivement, à la page brindle bass apparaissait la description d’un mérou d’une taille que même dans mes rêves les plus fous je n’avais jamais imaginée. Epinephelus lanceolatus, de son nom latin, y était décrit comme le roi du grand aquarium de Durban, celui qui imposait sa loi à tous, requins compris. Voilà un animal avec lequel il ne vaudrait mieux pas trop plaisanter.
***
« C’est un copain qui pêche au Jig qui m’a donné le point GPS. C’est un ancien bateau pilote qui a coulé. Le point est bien sur les cartes marines, mais à plusieurs miles de l’endroit réel. Il l’a découvert par hasard en pêchant à la traîne. A chaque fois qu’il passait à cet endroit, pahhh … un départ de canne. Alors il l’a testé au Jig, et vraiment, c’est un coin qui ne déçoit jamais. A chaque fois, ça mord. Tu verras, on devrait se régaler. »
Je n’en menais pas large. Car ce que Zé oubliait de mentionner, c’était que Lluis qui avait promis de nous servir de pilote pendant la plongée, s’était désisté in extremis. Il n’avait malheureusement pas comme moi la chance d’avoir un chef compréhensif pour lui autoriser de prendre sa journée au pied levé. Bref, il nous faudrait plonger chacun son tour. Et l’idée d’explorer une nouvelle épave était certes très excitante. Mais une épave peuplée de mérous géants avec en plus une visibilité médiocre, j’étais inquiet. Enfin, il ne faut surtout jamais laisser passer sa chance quand elle se présente.
« C’est pile l’étale de marée haute. Il n’y a pas trop de courant. Tu as de la veine, les conditions sont optimales. C’est le bon côté de l’été. »
Arrivé sur zone, Zé faisait des tours avec le Pescador, l’œil rivé sur le sondeur pour mieux localiser l’épave. L’écran laissait clairement voir une grosse anomalie. Pour ma part, j’observais surtout la couleur de l’eau. Elle me paraissait bien chargée en sédiment malgré les propos rassurant de Zé.
« Vas-y le premier, comme cela tu seras l’inventeur. Equipe-toi. », me proposa Zé en souriant.
Une fois ancré sur l’épave, je m’équipais donc avec soin, en prenant le temps de tout contrôler et de m’assurer de ne rien oublier. Finalement j’agrippais le moulinet relié à la bouée qui marquerait ma position en surface. Je purgeais ma stab de tout air. Et, tout en déclenchant ma bascule arrière, je me retournais pour aller le plus vite possible au fond tête la première. C’est ainsi qu’il faut procéder, m’avait expliqué Zé, pour ne pas trop dériver le temps de la descente et ne pas manquer l’épave.
Tout en entendant le cliquetis du moulinet se déroulant rapidement, je me demandais en m’enfonçant dans l’obscurité ce que je pouvais bien faire là. Après quelques coups de palmes vigoureux, je me retrouvais à genou sur le sable à moins dix huit mètres. Ouf, une forme sombre se dessinait à quelques mètres au plus, en limite de visibilité, malheureusement face au courant. Je faisais de mon mieux pour la rejoindre. Handicapé par ma bouée entrainée par le courant, j’essayais d’agripper de ma main libre le fond sableux qui me glissait entre les doigts, tout en palmant vigoureusement pour rejoindre l’épave.
Toute cette agitation ne pouvait pas passer inaperçue. Du coin de l’œil, je voyais un mérou énorme se rapprochait. J’essayais de l’ignorer en me forçant à me concentrer sur mon effort et mon objectif, ce qui finit heureusement par payer. A l’abri du courant derrière une sorte d’énorme totem métallique qui se dressait hors du sable, je reprenais ma respiration, calmais mon début d’essoufflement et prenais enfin le temps d’observer mon escorte.
Ma première impression était que j’étais loin de faire le poids. La loche géante accusait pour sûre au minimum deux fois ma propre masse sur la balance. Son œil, gros comme une boule de pétanque, se faisait insistant, roulait sur lui-même et me détaillait un peu à la manière d’un caméléon. Sa bouche était énorme. Avec des lèvres épaisses comme deux baguettes de pains mises bout à bout, il me donnait l’impression de pouvoir avaler d’une bouchée ma tête et mes épaules. Brrrrrr, l’obscurité relative due à l’eau turbide, la curiosité de la bête bien que d’apparence très placide, tout contribuait à me glacer le sang.
C’est alors que se détacha une ombre. Une seconde loche. Mais si la première loche faisait deux fois mon poids, celle–ci était au moins deux fois plus grande ! La grande sœur peut-être ? Et je n’étais pas au bout de mes frayeurs, car au bout de quelques minutes j’étais cerné de tous les côtés par une demi-douzaine de ces mérous géants, qui heureusement restaient des plus calmes. Je n’osais à peine respirer tout en me hissant à contre courant main à main vers ce qui restait de la cabine de pilotage. La structure carrée émergeait du sable. Elle me donnait l’illusion d’un semblant de protection.
Le dos contre la paroi métallique, je garde aujourd’hui encore cette vision de la poupe : une sorte de totem métallique de plusieurs mètres de haut planté dans le sable avec derrière, mettant à profit une protection relative contre le courant, six loches géantes classées par ordre de taille croissant. Elles semblaient avoir pris leur décision quand à ma personne et me laissèrent tranquillement poursuivre mon exploration le reste de l’épave.
Ces quelques tôles à moitié envahies par le sable donnaient l’impression d’une oasis en plein désert. La quantité de poissons en nombre d’espèces comme en volume de biomasse était incroyable. Les bancs de carangues, de lutjans, de vivaneaux …. paraissaient se disputer la proximité de l’épave. J’admirais le dessin géométrique d’une raie à nid d’abeille dont le diamètre du corps seul faisait plus d’un mètre. Sa fine queue n’en finissait plus, lui donnant une taille totale bien supérieure à la mienne.
Le courant et les émotions avaient eu raison de ma réserve d’air. J’étais obligé d’interrompre mon incursion dans ce petit monde sous marin bien trop tôt à mon goût. Avec cependant une fois en surface, la satisfaction libératrice de compter par le menu mon aventure à Zé.
« Il parait que c’est un bateau pilote tout neuf qui aurait été coulé dans les années 1980. Il y aurait eu une douzaine de victime, c’était le jour de son inauguration. C’était encore la guerre entre la Renamo et le Frelimo. »
Je me promis à moi-même d’aller faire un tour aux archives pour tenter d’en savoir plus. Bien étrange histoire, était-elle vraie ? J’essayais de questionner Zé qui m’avoua ne guère en savoir plus. Mais devant mon insistance, il me proposa une excursion à la ville frontière de Namaacha pour aller interroger le week-end prochain un de ses amis, Don Rafael.
***
Don Rafael était un vieux monsieur qui avait eu autrefois une entreprise de plongée professionnelle. Il avait pris depuis bien longtemps sa retraite dans cette petite ville tranquille de Namaacha, qui disposait d’un casino et de la seule usine d’eau minérale du Pays grâce à une source réputée. A quelques centaines de mètres d’altitude, le climat y était bien plus agréable en saison chaude. La maison de Don Rafael était très aérée. Il avait installé une grande tablée dans son immense jardin pour nous recevoir. Visiblement, il s’ennuyait un peu dans sa retraite et cette visite de jeunes plongeurs amateurs le changeait de son quotidien. Peut-être lui rappelait-elle aussi sa jeunesse ?
Sur le bateau pilote, nous fîmes choux blanc. Don Rafael n’avait rien à nous apprendre. Mais sur le sujet des épaves, il était une source d’information intarissable. Tout en dégustant le café, il nous raconta ses efforts et ses vaines tentatives pour renflouer le Klipfountein, un ancien paquebot de 150 mètres qui avait terminé sa carrière en sombrant près le la pointe de Zavora, au nord de Maputo avec 1000 tonnes de cuivre. La cargaison seule était selon lui un véritable trésor. Mais, à son grand regret, il n’avait pas réussi faute de moyen à la remonter en surface.
La véritable surprise vient quand il nous exhuma un rapport sur la disparition d’un remorqueur dans la baie de Maputo, avec un joli plan du navire dessiné à l’encre violette. Victime d’une voie d’eau lors d’une manœuvre de remorquage mal engagée, toutes les tentatives pour le sauver avait échoué. Il avait mis près de deux jours à couler un beau matin de 1979 à proximité du canal. S’il n’y avait aucun trésor à retrouver dans cette épave, l’idée d’être les premiers à plonger sur celle-ci après tant d’année représentait pour nous le véritable trésor. Munis de la position précise, nous allions devenir des inventeurs d’épave grâce à Don Rafael.
***
Encore une sortie en mer en perspectives, je savourais cette perspective dans l’attente du jour idéal. Le meilleur est souvent dans l’attente, dans le plaisir de laisser gambader son imagination sur un plan et quelques mots retenus d’une histoire. Même si parfois je me laissais gagner par mon impatience. Pendant plus de trios semaines, je maudissais tour à tour les trop gros coefficients de marée, les pluies torrentielles ou le vent du Sud qui levait une mer impraticable.
Mais tout arrive avec un peu de patience. Mer morte et calme plat, Zé lança le signal du départ le matin même, à l’heure où les oiseaux commencent à chanter. Mon directeur toujours aussi complaisant me laissait encore une fois prendre ma journée. Peut être aimait-il m’entendre raconter mes histoires de mers ? Un seul bémol, nous n’avions toujours pas de pilote. Il faut dire qu’avec un préavis aussi court, il n’était pas facile de trouver un volontaire. Tant pis, ce serait pour une autre fois.
C’était encore une de ces journées volées au travail. Je respectais bien entendu, bien que dans l’urgence, les formes en sollicitant la permission du Directeur puis en posant un congé. Mais l’imprévu de la situation avait une toute autre saveur à ces journées de congés. Le fait de se retrouver debout dans le semi-rigide, agrippé à la main courante d’acier inox, la casquette vissée sur le crâne, le vent dans la figure et cap au large, au lieu d’être assis devant un ordinateur, donnait une impression si savoureuse de pratiquer l’école buissonnière. Même si avec Zé, nous faisions strictement la même chose que les week-ends, c’était tellement meilleur.
Du fait des conditions de mer optimale et de la proximité du canal, nous étions rapidement rendus sur place. Avec l’aide des amers obtenus de Don Rafael et surtout du sondeur, nous mîmes moins d’une heure à localiser l’épave. Il faut dire que le bateau faisait près de cinquante mètres de long. J’inspectais soigneusement la couleur de l’eau. Et encore une fois, malgré les circonstances exceptionnelles, elle ne me semblait pas très engageante. Zé me laissait l’honneur de la première plongée. Une nouvelle fois, je ne savais pas trop sur l’instant si je devais le remercier ou le maudire. Mais pas question de flancher, je pris mon courage à deux mains et commençais à me préparer.
A l’immersion, impossible de voir le fonds. Il y avait comme une neige brune qui limitait fortement la visibilité. Je descendis toujours en serrant le moulinet et déroulant le petit fil qui assurait le contact avec la bouée de surface. Au moins cette fois-ci, le courant me semblait plus raisonnable. Bientôt j’aperçus un mât sortant du néant puis le reste de l’épave. Le remorqueur était couché sur le flanc tribord, posé sur du sable. Je me collais à la coque et tout doucement m’approchais du plat bord que j’attrapais à deux mains pour passer une tête et observer le pont.
A peine le temps d’un coup d’œil que plusieurs loches géantes s’approchaient de moi d’une nage décidée. Elles donnaient l’impression de garder l’épave. J’étais cerné de tous les côté. Les loches changèrent subitement de couleur pour devenir presque blanche. J’entendis comme plusieurs coups de canon, elles semblaient produire ce bruit en tournant autour de moi avec de brusques coups de queue. J’essayais de les repousser en nageant à reculons. La plus petite d’entre elles étaient la plus agressives. Mes coups de à coups de palmes ne semblait pas l’intimider le moins du monde. J’aurais eu plus de chance d’éloigner un pitbull avec un éventail.
C’était, me semblait-il, le moment de décrocher et de remonter. Mon ordinateur de plonger lançait des bips répétitifs, mais que faire d’autres que fuir vers la surface? Le Pescador était heureusement juste à côté. J’empoignais des deux mains le bout qui courrait le long du boudin et d’un puissant coup de palmes, je tentais de me hisser dans le bateau. Vaine tentative. Dans ma frayeur, j’avais oublié que tout mon équipement de plongée était encore sur mon dos. Heureusement, Zé me prêta main forte.
« Eh bien, qu’as-tu donc vu pour remonter si vite ? ».
Je lui racontais un peu penaud ma déroute face aux loches géantes. Une plongée de sept minutes montre en main sur une si belle épave, il n’y avait pas de quoi être très fier. Mais quand Zé déclina de prendre son tour et proposa de revenir le lendemain avec notre ami Lluis comme pilote, pour plonger à deux et armé d’une flèche de harpon pour tenir les loches à distance, mon estime de moi repris quelques couleurs.
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- Écrit par : Martine Malegue
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Joyeuse fêtes à tous et bon bout d'an, tout en prenant soin de vous et de vos proches
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- Écrit par : Martine Malegue
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